Les coraux sont particulièrement menacés par les bouleversements climatiques en cours, mais pas que. L’Anses vient de publier les résultats de son expertise concernant les substances chimiques ayant un impact sur ces animaux aquatiques. L’agence sanitaire dresse plusieurs recommandations.
Au niveau mondial, le dérèglement climatique impacte particulièrement les récifs coralliens. Ce dernier les menace à plusieurs égards : hausse de la température de l’eau, acidification des océans ou encore multiplication des cyclones. Et comme une menace n’arrive jamais seule, l’agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) confirme que certains filtres UV, pesticides, hydrocarbures et métaux peuvent entraîner des risques pour les récifs coralliens. Cette pollution concerne particulièrement la France puisqu’elle possède 10% des récifs coralliens du monde, répartis dans les océans Pacifique, Atlantique et Indien.
Sur 112 substances identifiées comme potentiellement toxiques pour les coraux, l’Anses a mené une évaluation des risques pour 53 d’entre elles. Celle-ci s’appuie principalement sur les données disponibles en Guadeloupe et Martinique (océan Atlantique), ainsi qu’à la Réunion et à Mayotte (océan Indien). L’expertise révèle que la moitié des substances évaluées peut présenter des risques pour les récifs coralliens. Et elles peuvent contribuer à leur dégradation.
Une multitude de risques sur les coraux
Pour aboutir à ces résultats, l’Anses s’est appuyée sur une vaste revue de la littérature scientifique des substances chimiques ayant fait l’objet d’études sur les effets toxiques des coraux. Cette revue a été réalisée par le Centre d’expertise et de données sur le patrimoine naturel (PatriNat) et coordonnée par l’Office français de la biodiversité (OFB).
Le 3 octobre dernier, lors d’un direct sur LinkedIn, Karen Burga, écotoxicologue, coordinatrice de l’expertise, a détaillé : « Nous avons sélectionné les études pour lesquelles il avait été pris en compte les réponses biologiques les plus pertinentes : la mortalité, la croissance, l’efficience photosynthétique, la densité des zooxanthelle [algues unicellulaires qui vivent en symbiose avec le corail, ndlr], la fertilité et le blanchissement. »
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Il n’est toutefois pas possible d’attribuer un pourcentage de destruction des coraux à une substance ou une menace en particulier. « Ce que l’on sait c’est que 20% des coraux sont détruits aujourd’hui dans le monde et qu’il y a des pressions de plus en plus fortes dues au dérèglement climatique et à la pollution chimique », partage de son côté Aurélie Mathieu, pharmacienne toxicologue à l’Anses. L’agence sanitaire peut néanmoins affirmer que la période larvaire reste la plus sensible aux substances chimiques.
Pesticides, métaux et filtres UV ne font pas bon ménage
Parmi ces différents risques, l’Anses s’est plus précisément penchée sur le cas de deux pesticides. Cette nouvelle étude apporte des éléments concrets sur les risques que présentent le chlordécone et le chlorpyrifos. Le chlordécone était utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe jusqu’en 1993. Malgré son interdiction, il continue d’y polluer les sols et le milieu marin. Le chlorpyrifos est un insecticide et un acaricide largement utilisé sur de nombreuses cultures. L’Europe a interdit ses usages phytosanitaires depuis 2020, mais il se retrouve encore dans l’environnement. Des discussions sont en cours pour l’interdire au niveau international dans le cadre de la convention de Stockholm relative aux polluants organiques persistants (POP).
Concernant les métaux, les scientifiques documentent des risques suivant les territoires pour le zinc, le manganèse, le fer, l’aluminium, le vanadium et le cobalt. Les rejets proviennent notamment des activités industrielles, de l’agriculture et des stations d’épuration. La pollution au zinc pourrait aussi être liée au ruissellement des eaux de pluie sur les toitures.
Du côté des filtres UV, l’expertise a identifié cinq substances comme toxiques pour les coraux. Au menu : l’oxybenzone, l’octinoxate, l’octocrylène, l’enzacamène et le salicylate de 2-éthylhexyle. Les effets toxiques documentés portent notamment sur le blanchissement de coraux et l’efficience de la photosynthèse. La présence d’une de ces substances semble incompatible avec le respect du milieu marin. L’Anses recommande donc que les produits solaires mettant en avant le respect du milieu marin excluent ces substances. Cela n’est vraisemblablement pas toujours le cas.
Enfin, l’étude ne peut pas écarter les risques pour neuf hydrocarbures dans les territoires disposant de données d’exposition. Citons les pêle-mêle : toluène, pyrène, phénantrène, p-xylène, naphtalène, fluoranthène, benzo(a)pyrène, benzène et anthracène.
Mettre en place des systèmes de suivi des pollutions
L’Agence sanitaire souligne aussi le manque de données disponibles concernant plusieurs substances potentiellement présentes dans les récifs coralliens. Cela est particulièrement vrai pour les médicaments et les microplastiques. En ce sens, l’Anses appuie sur l’importance de renforcer les suivis des substances chimiques à proximité des récifs coralliens. Dans certains territoires, aucun système de suivi des substances chimiques n’est en place. « Notre recommandation est de faire un suivi de ces substances dans les milieux marins des territoires d’outre-mer, propose Karen Burga. Il serait par exemple intéressant de connaître les niveaux de concentration d’octocrylène dans certains territoires, notamment dans les sites de baignade où il y a une forte fréquentation. »
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Pour préserver au mieux les coraux face au changement climatique, la première solution reste de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et la première étape pour y arriver est de réaliser un bilan carbone, rappelle Greenly, et d’y associer un plan d’action ambitieux. L’Anses appelle aussi à limiter les rejets de substances dangereuses à la source par des mesures de gestion. Cela passe notamment par des restrictions d’utilisation ou des interdictions de mise sur le marché de produits chimiques dans le cadre des réglementations telles que REACH. L’agence recommande en parallèle d’améliorer l’implantation et le fonctionnement des réseaux d’assainissement des eaux usées.