Parier sur un déploiement massif des technologies de capture et de stockage du CO2 coûtera très très cher. Et il s’agit d’un choix périlleux, selon un nouveau rapport de l’université d’Oxford.
À la COP28, l’avenir du pétrole, du gaz et du charbon et des technologies de capture et de stockage du carbone (CSC) se joue. Pour aider à éclairer les décisions d’un point de vue économique, un nouveau rapport de l’université d’Oxford évalue les coûts relatifs de deux trajectoires opposées pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La première mise sur un déploiement massif de ces technologies dans toute l’économie. Le second les réserve aux secteurs où les émissions sont les plus difficiles à diminuer, comme la cimenterie.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il faudra réduire grandement les émissions mondiales de CO2. Celles-ci s’élèvent aujourd’hui à environ 42 milliards de tonnes de tonnes par an (GtCO2/an). Le premier scénario étudié par les chercheurs prévoit ainsi d’atténuer environ la moitié des émissions actuelles d’ici 2050, en déployant une capacité annuelle de CSC de 19,2 GtCO2 à cet horizon. Le second cantonne ces procédés à l’atténuation d’environ un dixième des émissions actuelles en 2050, en déployant une capacité annuelle de 4,4 GtCO2 à cet horizon. « Nous avons choisi ce scénario, car il est inférieur aux prévisions du scénario Net-Zero de l’AIE, qui prévoit le déploiement de capacités de CSC de 6,2 GtCO2 par an à l’horizon 2050″, avance Richard Black, co-auteur de l’étude et chercheur honoraire au Grantham Institute de l’Imperial College London, au détour d’un café à la COP28.
La capture et le stockage de CO2 coûtera très cher
Le résultat est sans appel. Le scénario de fort déploiement coûterait environ 1.000 milliards de dollars de plus par an que l’option basse qui fait plutôt le pari des énergies renouvelables et de la sobriété énergétique. Cela donne un surcoût d’environ 30.000 milliards de dollars d’ici à 2050. Cela correspond à peu près au double de ce que coûterait la décarbonation de la Chine, selon la Banque mondiale.
Les auteurs estiment que les coûts liés à un déploiement massif des technologies de CSC seront en réalité bien plus élevés. « Je suis sûr qu’il s’agit là d’une sous-estimation, car nous avons inclus les coûts les plus bas que nous avons pu trouver dans la littérature, nous n’avons pas prévu d’augmentation de prix de la biomasse utilisée dans certains procédés de CSC et n’avons pas non plus prévu de surcoûts liés à des retards ou problèmes dans les développements à venir », nous explique Richard Black.
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Le chercheur nous détaille la méthodologie utilisée. « Nous avons utilisé une méthodologie développée par mon collègue et co-auteur de l’étude Rupert Way pour évaluer les coûts de déploiement de ces scénarios. Selon elle, il faut utiliser les coûts des technologies d’aujourd’hui et ne pas parier sur une baisse à venir des prix de ces technologies à l’avenir ». Car si le coût des énergies renouvelables comme l’énergie solaire ou l’éolien et des batteries a considérablement diminué ces dernières années, ce n’est pas du tout le cas du CSC depuis 40 ans, soulignent les auteurs. « Et dans la littérature scientifique, rien ne laisse supposer que la technologie va devenir moins chère. Nos résultats indiquent un manque d’apprentissage technologique à toutes les étapes, du captage du CO2 à l’enfouissement », martèle Richard Black.
Le CSC doit être une solution à la marge
Les auteurs reconnaissent qu’un faible niveau de CSC sera tout de même nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Toutefois, l’analyse montre que ces solutions devraient être réservées aux secteurs où les émissions sont les difficiles à réduire. Dans le secteur électrique notamment, il y a peu d’intérêt à les déployer. En effet, les énergies renouvelables sont déjà moins chères que les combustibles fossiles dans de nombreuses applications, et devraient encore le devenir à l’avenir, augmentant encore leur avantage en termes de coûts.
Ainsi, les auteurs appellent les gouvernements signataires de l’Accord de Paris à « bannir l’idée que le CSC est, et ne pourra jamais être, une solution globale ». « J’espère qu’il n’y aura rien sur le CSC dans le texte final ,mais je crains que nous verrons de nombreux pays parler de la capture et du stockage du carbone comme une chose logique à faire », prévient Richard Black.
Une technologie chère à peine développée
Seulement 41 usines ayant recours à du CSC fonctionnent aujourd’hui dans le monde. Le volume de CO2 capturé et stocké a approximativement doublé au cours de la dernière décennie pour atteindre seulement 49 millions de tonnes de CO2 par an. Monter à 1 milliard de tonnes ou plus demandera encore beaucoup d’investissement. Et il faudra bien s’assurer à ce que ces usines servent réellement à enfouir du carbone. Aujourd’hui, la majorité des usines actuelles (29) utilisent le CO2 capturé pour améliorer la récupération du pétrole plutôt que de le stocker. Utiliser le CSC à grande échelle pour faciliter l’utilisation continue des combustibles fossiles constitue en ce sens une réelle bombe climatique.
Richard Black met en garde : « Considérer le CSC comme un moyen de compenser la combustion continue de combustibles fossiles est économiquement dangereux ». Selon les auteurs, le CSC pourrait également avoir un impact social et écologique fort. « Une solution de CSC consiste à faire pousser de la biomasse, la faire brûler et stocker les émissions dans le sol. Cela risque d’entraîner des changements d’affectation des terres et menace probablement des ressources essentielles, comme la nourriture et l’eau, avec un impact sur leur disponibilité et leurs prix, explique Richard Black. Cela pourrait également poser des risques supplémentaires pour les droits de l’homme et mettre en péril la biodiversité et les services écosystémiques, détériorant ainsi la résilience de nos écosystèmes. »
Que dit la feuille de route Net Zero de l’AIE?
Dans sa feuille de route « Net Zero » visant à maintenir l’objectif de 1,5°C à notre portée, publié en septembre 2023, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) mise sur le développement de dispositifs de CSC de 1,2 GtCO2 en 2030 et 6,2 GtCO2 en 2050. L’agence prédit toutefois une chute de 40% d’ici 2030 de la production énergétique issue des combustibles fossiles sans CSC. Et d’ici 2050, il n’y aura presque plus aucune centrale sans un tel dispositif. La production mondiale d’électricité sans CSC à base de charbon et gaz passerait ainsi de 17.636 TWh en 2022 à 11.066 TWh en 2030 et 158 TWh en 2050.
La demande en combustibles fossiles baisserait ainsi de 25 % d’ici 2030, et de 80% d’ici 2050. Pour concrétiser ce scénario, l’AIE l’assure : « Aucun nouveau projet pétrolier et gazier en amont à long terme n’est nécessaire. Les nouvelles mines de charbon, les extensions de mines ou les nouvelles centrales à charbon sans CSS ne le sont pas non plus ». Seuls des investissements dans certains actifs pétroliers et gaziers existants et dans des projets déjà approuvés devraient se poursuivre.