A partir de Juillet 2015, la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des adjuvants, des matières fertilisantes et supports de culture sera transférée à l’Anses. Dès lors, l’agence sanitaire deviendra à la fois gestionnaire et évaluateur.
Depuis 2006, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) n’émettait qu’un avis sur les dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides soumis par les industriels ; la décision d’autorisation ou non de ces produits était prise par le Ministère de l’Agriculture. Suite à la loi du 13 octobre 2014 d’Avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, l’Anses aura en charge l’ensemble de ces missions à partir du 1er juillet 2015.
Créer une séparation pour assurer l’indépendance
Suite aux différents drames sanitaires qu’a connu la France, la pierre angulaire du système décidé pour protéger la santé publique et l’environnement a été la dissociation du gestionnaire et de l’évaluateur. Pour les pesticides, l’évaluation a été confiée à l’Anses en 2006, la décision d’AMM restant aux mains du ministre chargé de l’agriculture. Ce transfert à nouveau en une même main de l’évaluation et du gestionnaire interroge différents acteurs du monde agricole.
« C’est un non-sens de la rigueur juridique », assure Maître Bernard Fau, Avocat à la Cour de Paris et Avocat de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF). « L’Anses va être obligée de prendre des postures très difficiles pour créer en son sein une dissociation artificielle entre ceux qui vont évaluer, ceux qui vont décider et ceux qui vont traiter les évaluations en cours… », prévient-il. En effet, pour mener à bien la gestion des AMM, l’Anses va créer une direction séparée de sa direction de l’évaluation des risques. L’Agence espère ainsi assurer l’indépendance des deux activités en toute transparence.
Pour assurer cette nouvelle mission, l’agence estime avoir besoin d’environ 35 équivalent temps pleins pour la prise en charge de ses nouvelles missions. Mais la loi de Finances 2015 prévoit seulement la création de 10 nouveaux postes pour cette année. 15 autres postes devraient être pourvus cette année par réaffectation de postes en interne. Pour les 10 postes restants, l’Anses espère les obtenir de l’Etat en 2016. Ce manque d’effectifs rend la bonne application de l’ensemble de ses tâches de plus en plus difficile.
Lire aussi : Mais en fait, c’est quoi un pesticide chimique de synthèse?
Phytopharmacovigilance : suivre les pesticides sur le terrain
La loi d’avenir agricole prévoit aussi de renforcer les dispositifs de contrôle des produits autorisés sur le terrain. L’objectif est de suivre les effets éventuels des pesticides sur la santé humaine, que cela soit pour les travailleurs ou la population générale. Mais l’environnement n’est pas en reste : l’agence devra surveiller la santé des écosystèmes, de la faune et de la flore et les contaminations des milieux par les pesticides. Ainsi, si des signes montrant la toxicité d’un produit s’accumulent sur le terrain, l’Anses devra réagir rapidement pour reconsidérer l’AMM. « Une fois le produit sur le marché, il faut être capable d’être attentif à tout signal qui pourrait nous amener à remettre en cause telle ou telle décision au niveau de l’AMM », précise Marc Mortureux, directeur de l’Anses. C’est ce que la loi appelle la « phytopharmacovigilance ».
Mais « la pharmacovigilance commence d’abord par la connaissance des préparations commerciales qui sont répandues sur des millions d’hectares en France ! », s’exclame Marc-Edouard Collin, Dr Vétérinaire en toxicologie de l’abeilles. Aujourd’hui, lors des consultations publiques, l’Anses ne transmet que l’avis de la commission d’experts de l’Anses, mais pas le dossier d’AMM qui comprend la matière active, son degré de pureté, les ingrédients de formulation… « On n’a aucune donnée sur les expérimentations et le protocole de l’industriel», s’insurge-t-il. En quelque sorte, « on nous demande un avis sur l’avis de l’Anses », fustige-t-il.
Actuellement, 95 dossiers pour environ 120 préparations commerciales de pesticides sont en consultation publique. Sur 10 dossiers étudiés par le vétérinaire, il en ressort plusieurs aspects qui sont difficiles à accepter. Notamment, concernant la formulation « Gaucho-Duo » de Bayer, le néonicotinoïde iminaclopride est associé à un fongicide. Ces deux produits agissent en synergie. « Mais toute l’évaluation de l’Anses repose sur chaque molécule indépendamment sans prendre en compte la synergie », prévient-il. Pourtant, Bayer a bien déposé un brevet revendiquant la synergie des 2 molécules…
« Nous demandons expressément d’avoir le dossier d’AMM donné par l’industriel », clame le vétérinaire, au nom de l’UNAF. Car c’est la seule façon de connaître pleinement les produits utilisés par les agriculteurs. « Comment conseiller telle ou telle préparation sans connaître les différences entre produits? », questionne-t-il. L’UNAF espère que le transfert de la décision d’AMM à l’Anses sera l’occasion de remettre à plat ce dispositif de consultation publique.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com