Depuis 2015, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met à jour les connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques relatives au changement climatique. Ce lundi 20 mars, il publie la synthèse de ce travail. Elle souligne à quel point cette décennie est capitale pour l’avenir climatique de la Terre, avec des effets qui s’étaleront sur des milliers d’années.
Le GIEC a publié son premier rapport d’évaluation, en 1990. Ont suivi des mises à jour en 1995, 2001, 2007 et 2014. Ce lundi 20 mars, le GIEC dévoile le rapport de synthèse de son 6e cycle d’évaluation des connaissances sur le climat (ou AR6 pour Sixth Assessment Report), accompagné de son résumé pour décideurs approuvé à la suite d’une session d’une semaine à Interlaken, en Suisse. En quelques dizaines de pages, il synthétise l’état des connaissances sur le changement climatique, ses impacts et risques, ainsi que les pistes pour l’atténuer et s’adapter. « Ce rapport de synthèse souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable et vivable pour tous », assure Hoesung Lee, président du GIEC. Le Secrétaire général de l’ONU António Guterres l’a quant à lui qualifié de « guide de survie pour l’humanité ».
Cette synthèse repose sur les contributions des trois groupes de travail et des trois rapports spéciaux (sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C, sur l’utilisation des sols et sur l’océan et la cryosphère). Structurée en trois parties : « État actuel et tendances », « Changement climatique futur, risques et réponses à long terme » et « Réponses à court terme », cette synthèse rappelle une nouvelle fois que « le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire ». Ce changement « menace de plus en plus les écosystèmes, la biodiversité et les moyens de subsistance, la santé et le bien-être des générations actuelles et futures ». Afin d’éviter de nombreux changements irréversibles, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant. « Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des impacts maintenant et pendant des milliers d’années », assurent les auteurs.
Un réchauffement de +1,1°C « sans équivoque » dû à l’activité humaine
Le chapitre « État actuel et tendances » repose en grande partie sur les conclusions du groupe de travail I « La physique du climat » et le premier volet du rapport. Il rappelle notamment que la hausse de la température terrestre atteint déjà 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle (1850). Le rapport explique que « La hausse des émissions de gaz à effet de serre depuis 1750 est sans équivoque causée par les activités humaines. Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et la terre. »
Cette hausse de la température a entraîné des changements étendus et rapides dans l’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère. Des événements météorologiques extrêmes fréquents et plus intenses ont causé des impacts sur la nature et les populations dans toutes les régions du monde. « Les communautés vulnérables qui ont historiquement ont le moins contribué au changement climatique actuel sont touchés de manière disproportionnée », assurent les auteurs. Entre 2010 et 2020, la mortalité humaine due aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes était en effet 15 fois plus élevée dans les régions très vulnérables, par rapport aux régions à très faible vulnérabilité.
En 2018, le GIEC a souligné l’ampleur sans précédent du défi à relever pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C. Cinq ans plus tard, ce défi est devenu encore plus grand en raison d’une augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre. Le rythme et l’ampleur de ce qui a été fait jusqu’à présent, et les plans actuels, demeurent insuffisants pour lutter contre le changement climatique.
Une action immédiate pour limiter les changements irréversibles
Le deuxième chapitre repose en grande partie sur les conclusions du groupe de travail II « Impacts, adaptation et vulnérabilités ». Il se penche sur les impacts du réchauffement et la façon de se préparer pour limiter les risques (« l’adaptation »). Les experts du GIEC y assurent que pour limiter le réchauffement à +1,5°C ou +2°, il faut « des changements rapides et profonds et, dans la plupart des cas, immédiats ». Ils y affirment qu’au-delà de 1,5°C, l’adaptation deviendra de plus en plus difficile. Et « dans certaines régions, ce sera impossible si le réchauffement climatique dépasse 2°C ». Les options d’adaptation réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement climatique, prévient le GIEC.
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Si certains changements à venir sont désormais « inévitables et/ou irréversibles », ils peuvent être limités par « une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions mondiales de gaz à effet de serre », préviennent les auteurs. C’est notamment le cas de la hausse du niveau de la mer qui « est inévitable pendant des siècles, voire des millénaires en raison du réchauffement continu des océans profonds et de la fonte de la calotte glaciaire, et le niveau de la mer restera élevé pendant des milliers d’années », selon le GIEC.
Le niveau moyen mondial de la mer a augmenté de 20 centimètres entre 1901 et 2018. Et l’élévation du niveau de la mer s’accélère. Le taux moyen d’élévation du niveau de la mer est ainsi passé de 1,3 mm/an entre 1901 et 1971 à 3,7 mm/an entre 2006 et 2018. « L’influence humaine a très probablement été le principal moteur de ces augmentations depuis au moins 1971″, estime le GIEC. Mais l’accélération de l’élévation du niveau de la mer peut être modulé. Dans le scénario le moins émetteur, l’élévation moyenne mondiale probable du niveau de la mer est limitée à 0,55 m maximum d’ici 2100. A l’opposé, cette élévation pourrait atteindre 1,01 m maximum d’ici 2100 dans le scénario le plus émetteur. Bien que plusieurs incertitudes entourent ces projections, le niveau moyen mondial de la mer pourrait augmenter d’environ 2 à 3 m si le réchauffement est limité à 1,5 °C et de 2 à 6 m s’il est limité à 2 °C au cours des 2000 prochaines années.
Une justice climatique indispensable à l’adaptation
« Risques climatiques et non climatiques interagissent de plus en plus, créant des risques composés et en cascade qui sont plus complexes et difficiles à gérer », soulignent les auteurs. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine l’ont récemment rappelé. L’insécurité de l’accès à l’eau et à l’alimentation, par exemple, devraient augmenter avec l’augmentation du réchauffement climatique, en interaction avec des facteurs de risque non climatiques tels que la concurrence pour les terres entre l’expansion urbaine et la production alimentaire, les pandémies et les conflits.
Les auteurs soulignent l’importance de la justice climatique. « La justice climatique est cruciale parce que ceux qui ont le moins contribué au changement climatique sont touchés de manière disproportionnée », a déclaré Aditi Mukherji, l’une des 93 auteurs de ce rapport de synthèse. « Près de la moitié de la population mondiale vit dans des régions très vulnérables au changement climatique. Pour être acceptés, les choix doivent s’enraciner dans nos diverses valeurs, visions du monde et connaissances, y compris les connaissances scientifiques, les connaissances autochtones et les connaissances locales.
Respecter le budget carbone qu’il nous reste
De 1850 à 2019, l’humanité a émis 2.390 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2). Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C impose d’atteindre la neutralité carbone mondiale entre 2050 et 2070 suivant les scénarios. Chaque fois que l’activité humaine émet 1.000 GtCO2, la température de surface globale augmente de 0,45°C, estime le GIEC. Pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle, la meilleure estimation du budget carbone restant à partir de début 2020 est de 500 GtCO2. Et pour avoir deux chances sur trois de limiter le réchauffement à 2°C, il s’élève à 1.150 GtCO2.
Par comparaison, en 2019, les émissions totales étaient de 59 gigatonnes. Si les émissions annuelles de CO2 entre 2020 et 2030 restent au même niveau qu’en 2019, le budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 1,5°C serait donc épuisé. Et plus d’un tiers du budget pour le limiter à 2°C serait consommé. En absence de réduction supplémentaire, les émissions de CO2 projetées des infrastructures de combustibles fossiles existantes suffisent à dépasser le budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. « J’appelle également les dirigeants de toutes les compagnies pétrolières et gazières à faire partie de la solution« , a ainsi appelé António Gueterres.
Pour ne pas dépasser le seuil de +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer de 43% d’ici 2030 par rapport à 2019. Les calculs des options disponibles par secteur montrent que « le potentiel total de réduction d’émissions d’ici 2030 » est « suffisant » pour les réduire à la moitié du niveau actuel « ou moins », assure le texte.
En cas de dépassement d’un seuil de température (1,5°C ou 2°C), il pourrait toutefois être possible de revenir en arrière en maintenant des émissions globales négatives nettes de CO2 grâce à des techniques de capture de CO2, estiment les auteurs. Avec cette approche « le dépassement entraîne des impacts négatifs, certains irréversibles, et des risques supplémentaires pour les systèmes humains et naturels, qui augmentent tous avec l’ampleur et la durée du dépassement », juge toutefois le GIEC. À noter que les mécanismes de rétroaction, tels que l’augmentation des incendies de forêt, la mortalité massive des arbres, l’assèchement des tourbières et le dégel du pergélisol, l’affaiblissement des puits de carbone terrestres naturels et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre rendraient ce retour plus difficile.
S’adapter dans tous les secteurs économiques
Le climat, les écosystèmes et la société sont interconnectés. La conservation effective et équitable de 30 à 50% des terres, des eaux douces et des océans de la Terre contribueront à s’adapter aux impacts inévitables du changement climatique. Cette conservation réduirait la vulnérabilité de la biodiversité et des services écosystémiques au changement climatique, l’érosion côtière et les inondations. Elle pourrait également augmenter l’absorption et le stockage du carbone si le réchauffement climatique est limité.
Le changement climatique a des impacts économiques dans de nombreux secteurs, tels que l’agriculture, la foresterie, la pêche, l’énergie et le tourisme. Malgré les progrès, des écarts d’adaptation existent dans tous les secteurs et régions. Secteur par secteur, le Giec explore donc les solutions pour réduire le plus possible les émissions de gaz à effet de serre de manière à fournir des avantages plus larges. Par exemple, la transition énergétique améliore aussi la santé, en particulier pour les femmes et les enfants. Une électricité bas-carbone, la marche, le vélo et les transports en commun améliorent la qualité de l’air et la santé, mais aussi l’accès à l’emploi et l’égalité. L’impact de l’amélioration de la qualité de l’air sur la santé des populations apportera des avantages économiques équivalents ou supérieurs aux coûts nécessaires pour réduire ou éviter les émissions de gaz à effet de serre.
Les deux mesures qui ont le plus fort potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre à moindre coût – majoritairement à moins de 20 dollars la tonne de CO2-équivalent – sont le développement de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne. La réduction de la déforestation et la restauration des forêts renferment également un potentiel important. Une large palette d’options déjà disponibles dans tous les secteurs – agriculture, énergie, transports, industrie, bâtiments, l’utilisation des terres… – permettrait de réduire les émissions nettes annuelles de 31 à 44 gigatonnes d’équivalent CO2 d’ici 2030, soit de 47% à 75%. Le GIEC souligne que les bénéfices attendus de certaines solutions excèdent les coûts de leur mise en place.
Il existe suffisamment de capitaux au niveau mondial pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre si les barrières existantes sont réduites, insiste le GIEC. Les freins à leur réorientation doivent être levés. Les gouvernements, par le biais de financements publics et de signaux clairs aux investisseurs, sont essentiels pour réduire ces barrières. Les investisseurs, les banques centrales et les régulateurs financiers peuvent également jouer leur rôle.
Les villes, victimes et leviers d’action
Le GIEC explore les impacts et risques du changement climatique dans les villes, où vit plus de la moitié de la population mondiale. Et d’ici à 2050, 68% de la population mondiale devrait vivre dans les villes. Les zones urbaines renforcent déjà les effets néfastes sur la santé humaine du changement climatique, notamment à cause des températures extrêmes. Les villes intensifient localement le réchauffement induit par l’homme, et une urbanisation plus poussée, associée à des températures extrêmes plus fréquentes, augmentera la gravité des vagues de chaleur. Les difficultés se cumulent donc dans les zones urbaines : îlots de chaleur, pénurie d’eau potable, artificialisation des sols, montée des eaux… Les événements extrêmes touchent les infrastructures urbaines, y compris les systèmes de transport, d’eau, d’assainissement et d’énergie. Encore une fois, « les impacts négatifs observés sont concentrés parmi les résidents urbains économiquement et socialement marginalisés », notent les auteurs.
La santé, les biens et les infrastructures essentielles, y compris les systèmes d’énergie et de transport, devront s’adapter. Il faut préparer leur résilience face aux vagues de chaleur, tempêtes, sécheresse et inondations, ainsi qu’aux changements à évolution lente, notamment l’élévation du niveau de la mer, insiste le GIEC. Mais en ce sens, les villes offrent des leviers d’adaptation grâce aux infrastructures : bâtiments plus écologiques, stockage d’eau de pluie, utilisation des eaux grises, revêtements perméables, refroidissement passif, amélioration des infrastructures de transport, d’énergie, d’eau et d’assainissement.
La ville offre aussi des leviers d’adaptation fondées sur la nature : agriculture urbaine, arbres, toits végétaux, parcs et espaces ouverts, jardins communautaires, jardins de pluie, rigoles, bassins de rétention, berges, plaines inondables et restauration des bassins versants. La ville offre aussi des leviers de planification et de politique sociale via l’aménagement du territoire, la sécurité sociale, la gestion des risques d’urgence et de catastrophe, les services de santé, l’éducation climatique et la conservation du patrimoine.