La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dévoile son nouveau rapport sur les espèces exotiques envahissantes. Cette menace mondiale majeure risque de s’accentuer en l’absence d’outils de lutte efficaces.
« La grave menace mondiale que représentent les espèces exotiques envahissantes est sous-appréciée, sous-estimée et souvent méconnue », alerte l’IPBES [Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques] dans une nouvelle évaluation consacrée au sujet. « Les espèces exotiques envahissantes constituent une menace majeure pour la biodiversité et peuvent causer des dommages irréversibles à la nature, y compris des extinctions locale et mondiale d’espèces », complète Helen Roy, co-présidente de l’évaluation via communiqué.
Ce nouveau rapport alerte sur les différentes facettes de cette menace, et appuie sur les approches éprouvées de lutte contre ces invasions. Élaboré par 86 experts de 49 pays pendant quatre ans, il s’appuie sur plus de 13.000 références. Les représentants des 143 États membres de l’IPBES l’ont approuvé le 2 septembre 2023 à Bonn, en Allemagne. Natura Sciences vous résume ici 5 de ses enseignements clés.
Enseignement n°1 : 3.500 espèces exotiques sont « envahissantes »
Le rapport identifie 37.000 espèces exotiques établies dans le monde. Il s’agit d’espèces introduites dans de nouvelles régions par les activités humaines. Sur ce total, les experts en considèrent plus de 3.500 comme « envahissantes ». Ces espèces exotiques « sont connues pour s’être établies et propagées, avec des impacts négatifs sur la biodiversité, les écosystèmes locaux et les espèces », explicite l’IPBES. Ces espèces ont aussi souvent des impacts sur les personnes et la qualité de vie. Elles ravagent les cultures et les forêts. Elles transmettent des maladies, s’attaquent aux services écosystémiques. Et elles menacent la sécurité en eau et la sécurité alimentaire.
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Les experts de l’IPBES dressent un tableau précis : selon la littérature existante, environ 6 % des plantes exotiques, 22 % des invertébrés exotiques, 14 % des vertébrés exotiques et 11 % des microbes exotiques sont connus pour être envahissants. Ces espèces menacent particulièrement les peuples autochtones qui dépendent le plus directement de la nature. L’IPBES estime que plus de 2.300 espèces exotiques sont présentes sur les terres que ces populations occupent et « gèrent, menaçant leur qualité de vie et même leur identité culturelle ».
Enseignement n°2 : Il s’agit du cinquième facteur de perte de biodiversité
Ce nouveau rapport considère que les espèces exotiques envahissantes jouent un rôle majeur dans 60% des extinctions de plantes et d’animaux dans le monde. Elles constituent même le seul facteur dans 16% des extinctions mondiales enregistrées par l’IPBES. « Au moins 218 espèces exotiques envahissantes ont été responsables de plus de 1.200 extinctions locales », ajoute Anibal Pauchard, co-président de l’évaluation, via communiqué.
En 2019, le rapport d’évaluation mondiale de l’IPBES identifiait les espèces exotiques envahissantes comme l’un des cinq principaux facteurs de perte de biodiversité. Et ce, derrière les changements dans l’utilisation des terres et de la mer, l’exploitation directe de certaines espèces, le changement climatique et la pollution.
Enseignement n°3 : Les impacts liés aux espèces exotiques envahissantes ont coûté 423 milliards de dollars en 2019
Les coûts annuels des dégradations causées par les espèces exotiques envahissantes a dépassé les 423 milliards de dollars par an en 2019, contre moins d’un milliard dans les années 1970. « Ces coûts ont au moins quadruplé chaque décennie depuis 1970″, calcule l’IPBES. 92% de ces coûts concernent les dommages aux contributions de la nature à l’homme et à une bonne qualité de vie. Les 8% restants correspondent à la gestion des invasions biologiques.
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Ces coûts concernent notamment les dommages causés aux ressources alimentaires, à l’incidence négative sur la qualité de vie des populations et l’atteinte aux moyens de subsistance. Les experts citent par exemple les moustiques vecteurs du paludisme, de Zika et de la fièvre du Nil occidental. Un autre exemple est celui du déclin de la pêche dans le lac Victoria, en raison des jacinthes d’eau, espèce envahissante la plus répandue dans le monde. Ces dernières y recouvrent une grande partie de sa surface. En réduisant le taux d’oxygène dans l’eau, la jacinthe d’eau amenuise les populations de tilapias du lac.
Enseignement n°4 : Les espèces exotiques envahissantes sont présentes partout dans le monde
Ces invasions biologiques concernent toute la planète. 34 % ont été signalées dans les Amériques, 31 % en Europe et en Asie centrale. 25 % des signalements concernent l’Asie et le Pacifique et environ 7 % l’Afrique. Les trois quarts environ des impacts négatifs sont signalés sur les terres, notamment dans les forêts, les zones boisées et les zones cultivées. En particulier, certaines îles font face de façon démesurée au problème. Sur plus d’une île sur 4, le nombre de plantes exotiques dépasse désormais le nombre de plantes indigènes.
Anibal Pauchard appelle à une prise en compte mondiale du sujet. « Bien que les espèces spécifiques qui causent des dommages varient d’un endroit à l’autre, il s’agit de risques et de défis qui ont des racines mondiales mais des impacts très locaux auxquels sont confrontés les habitants de tous les pays, de tous les milieux et de toutes les communautés, même l’Antarctique est touché ».
Enseignement n°5 : Des outils de lutte efficaces existent !
En décembre 2022, lors de la COP15 biodiversité, les États se sont mis d’accord sur le principe d’un « cadre mondial pour la diversité ». Il vise à réduire l’introduction et l’établissement d’espèces exotiques envahissantes prioritaires d’au moins 50% d’ici à 2030. Pour autant, les mesures de lutte actuellement déployés contre les espèces invasives restent largement « insuffisantes », souligne l’IPBES. Une faible minorité de pays (17%) ont des lois ou réglementations nationales spécifiques sur le sujet. « 45% des pays n’investissent pas dans la gestion des invasions biologiques », constate le rapport.
Bonne nouvelle, le rapport appuie sur les solutions à déployer pour faire face à la menace. En premier lieu, il souligne l’importance des mesures de prévention, comme la biosécurité aux frontières et les contrôles à l’importation. Les systèmes de détection précoce et de réaction rapides, ou leur éradication pure et simple apparaissent, selon les réalités locales, comme des outils efficaces, pointe en plus le rapport. Les programmes d’éradication menées sur 998 îles ont notamment montré un taux de réussite de 88%. Anibal Pauchard appuie: « La prévention est absolument la meilleure option, la plus rentable, mais l’éradication, le confinement et le contrôle sont également efficaces dans des contextes spécifiques. La restauration des écosystèmes peut également améliorer les résultats des mesures de gestion et accroître la résistance des écosystèmes aux futures espèces exotiques envahissantes. »
Pour réaliser des progrès, il faudra déployer « une approche intégrée spécifique au contexte, à travers et au sein des pays et des différents secteurs concernés par la biosécurité, y compris le commerce et le transport, la santé humaine et végétale, le développement économique », explique Peter Stoett, également co-auteur de l’évaluation, via communiqué. Entre autres, le rapport souligne l’importance de développer des politiques cohérentes, d’adopter des codes de conduite dans tous les secteurs et défend une gouvernance inclusive et équitable.