Selon une nouvelle étude du think tank de la Fondation Nicolas Hulot, moins de 1% des aides publiques aux agriculteurs ont un effet sur les objectifs de réduction de l’usage des pesticides. L’échec de cette réduction provient d’une poignée d’exploitations les plus utilisatrices. Explications.
En 2009, la France ambitionnait de réduire l’usage des pesticides de 50% à l’horizon 2018. Puis, cet objectif a été repoussé à 2025. Pourtant, le recours à ces produits a augmenté de 25% entre 209 et 2018. Le Think Tank de la Fondation Nicolas Hulot, en collaboration avec le Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne (Basic) a voulu comprendre le rôle des financements publics et privés dans cet échec de ce plan Ecophyto. Ainsi, il estime dans un nouveau rapport les financements publics aux acteurs de l’alimentation à 23,2 milliards d’euros chaque année, les financements privés à 19,5 milliards d’euros. Nicolas Hulot salue « un travail éclairant, nécessaire et constructif ».
Des financements publics et privés qui soutiennent le modèle en place
« Seuls 11% des financements publics ont une intention définie de manière directe ou indirecte qui vise la réduction des pesticides, s’alarme Christophe Alliot, chercheur en économie au Bureau d’études Basic. Seulement 1% des 22,3 milliards ont des effets avérés sur la réduction des pesticides, soit environ 220 millions en 2019. » Les financements publics ayant des effets avérés sont essentiellement liés à la Politique Agricole Commune.
Du côté des financements privés, la sentence est similaire. L’étude relève une « quasi-absence totale d’intention en faveur de critères de durabilité environnementaux », souligne Christophe Alliot. Et pourtant, les exploitations qui utilisent le plus de pesticides sont celles qui ont le plus recours aux emprunts pour financer leur activité. Ainsi, elles font 1,6 fois plus d’emprunts, surtout à court-terme, que le reste des exploitations.
Ces financements sont essentiels pour l‘équilibre financier des fermes. Ainsi, 73% des financements publics et 61% des financements privés vont aux agriculteurs.
Une évolution tirée par une poignée d’exploitations agricoles
Il apparaît que « l’évolution de l’utilisation des pesticides sur les 10 dernières années n’est pas uniforme », relève Christophe Alliot. L’étude retient ainsi trois groupes d’exploitations agricoles. Le premier regroupe les exploitations les utilisatrices de pesticides, soit environ 9% des exploitations françaises. C’est le seul groupe où l’usage des pesticides a augmenté ces dix dernières années. La hausse s’élève à 55%. « La totalité de l’augmentation des pesticides sur cette décennie est le fait d’une poignée d’exploitations », note l’expert.
Pour les exploitations les moins utilisatrices de pesticides, soit 36% des fermes françaises, l’usage des pesticides a baissé de 1% en 10 ans. Enfin, pour le groupe intermédiaire, regroupant la majorité des exploitations françaises (57%), la consommation en pesticides a baissé de 2% en dix ans. « Seul le groupe des exploitations les plus utilisatrices est en augmentation en nombre (+24%), observe Christophe Alliot. Le groupe intermédiaire est en baisse en nombre d’exploitations (-14%), le groupe intermédiaire également, à -14%. »
Le think tank montre aussi que « 70% de l’utilisation des pesticides en France est liée aux grandes cultures : les céréales, les oléagineux, les protéagineux, les betteraves sucrières, pommes de terre… », partage Christophe Alliot. Suivent les vignes avec 14% de l’usage des pesticides, les fourrages (7%), les fruits (5%) et les légumes et l’horticulture (4%).
Une fiscalité et une PAC à réformer
L’étude pointe que la fiscalité reste largement à contre-courant du plan Ecophyto. Et pourtant, alors que les allègements de charges et de cotisations sociales sur les salariés représentent plus d’un tiers des financements publics et ont augmenté de 49% entre 2014 et 2020, ils bénéficient davantage aux exploitations les plus utilisatrices de pesticides. Elles touchent 2,6 fois plus d’allègements de cotisations sociales que la moyenne des exploitations. En plus, elles touchent 2,7 fois plus de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Et aussi 2,6 fois plus de déductions d’impôts pour aléas et pour investissements.
Pour changer la donne, le think tank propose une feuille de route sur dix ans autour de 3 objectifs : accompagner les agriculteurs, renouveler les générations et responsabiliser tous les acteurs de la chaîne agricole et alimentaire. Pour ce faire, deux outils majoritaires sont à exploiter, estime la fondation : la PAC et la fiscalité. En particulier, elle demande à la France de jouer son rôle dans le verdissement de la PAC, de viser 100% d’installation et de transmission en agroécologie d’ici 10 ans et de mettre en place un malus pour tous les acteurs qui ne pratiquent pas de l’agroécologie.
Enfin, pour Nicolas Hulot, les politiques publiques de transition doivent souscrire à trois principes. Il identifie un « principe de prévisibilité » assorti d’objectifs, un « principe d’irréversibilité » pour ne pas pouvoir les retarder et un « principe de progressivité » pour accompagner les mutations. Il conclut : « Il faut mettre un terme à ces politiques publiques empreintes de sincérité, mais dénuées des moyens pour pouvoir parvenir à ces objectifs. Cela crée dans notre démocratie ce cycle dangereux de défiance entre les citoyens et les responsables politiques. »
Matthieu Combe