En Bretagne, le surtourisme et le dérèglement climatique ont des effets délétères sur certains sites naturels emblématiques de la région et, parfois, dotés d’une biodiversité exceptionnelle. De la rivière de Crac’h à l’île de Bréhat, tour d’horizon de ces espaces bretons menacés par l’activité humaine.
C’est l’un de ces « spots » encore méconnu du grand public, mais qui commence à faire les frais du bouche-à-oreille et des recommandations à « sortir des sentiers battus ». Un coin isolé, prisé des locaux, qui se trouve envahi du jour au lendemain à cause d’un post sur Instagram. Ce petit coin de paradis breton, c’est la rivière de Crac’h. Ce cours d’eau, voisin du Golfe du Morbihan, se jette dans la baie de Quiberon. Il s’agit de l’une des dernières zones naturelles entièrement préservées du Morbihan, dotée d’une unique et formidable biodiversité, désormais menacée par l’afflux de visiteurs.
Car ce coin de paradis est en sursis. Dans les cartons des autorités départementales depuis plus de vingt ans, un projet de sentier littoral, reliant la rivière de Crac’h, le site archéologique de Carnac et La Trinité-sur-Mer, pourrait en effet menacer le fragile équilibre qui maintient cet écosystème naturel. Long de plus de 50 kilomètres, le sentier aurait un impact « désastreux », redoute l’Association pour la protection des rivières de Crac’h (APRC), qui lutte activement pour repenser ce projet afin de mieux préserver la biodiversité. Armés de jumelles et de calepins, ses membres s’astreignent au patient décompte des oiseaux, notamment les plus menacés, observables sur le site.
Autour de la rivière de Crac’h, un projet de sentier potentiellement « désastreux »
Sterne caugek, grand javelot, martin-pêcheur, sarcelle d’hiver, mouette rieuse, vanneau huppé, spatule blanche… : « on dénombre 60 espèces différentes, dont 26 protégées », explique au Télégramme Claire Tabarly, de l’Association pour la préservation de la rivière Crac’h (APRC). Autant d’oiseaux, parfois migrateurs, qui trouvent gîte et couvert dans les bois, landes, étangs, zones humides, prés salés et autres vasières qui composent cet environnement exceptionnel. Et autant d’oiseaux dont la quiétude sera, immanquablement, perturbée par l’afflux de visiteurs drainés par le nouveau sentier. « Si un chemin est créé dans cette partie de la rivière, certaines espèces rares, qui ne vivent qu’ici, à l’instar du Gorgebleue, vont disparaître », s’alarme l’ornithologue Yves Le Cam.
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Alors que plus de quatre oiseaux sur dix (43%) sont menacés en Bretagne, la hausse attendue de la fréquentation touristique et de ses nuisances – marcheurs piétinant les berges, kayaks et embarcations à moteur, etc. –, couplée aux conséquences du réchauffement climatique – montée des eaux, effondrement des berges et murets, incendies, etc. – font peser un risque vital sur ce site pittoresque unique par ses paysages, son histoire et sa biodiversité.
« Les Bretons ont des raisons de s’inquiéter«
Emblématique des menaces que font planer le dérèglement climatique et les activités humaines sur certaines zones naturelles, la rivière de Crac’h n’est pourtant qu’un exemple, parmi bien d’autres, de ces sites bretons appelés à être profondément bouleversés dans les années à venir. Figurant, à nouveau, dans le top 5 des destinations préférées des Français en 2023, la Bretagne pourrait subir les conséquences de sa réputation de fraîcheur auprès de touristes désireux d’échapper aux canicules méridionales. « Les Bretons ont des raisons de s’inquiéter », acquiesce le sociologue Rodolphe Christin, selon qui « le changement climatique est en train de redistribuer les cartes de fréquentation et de flux touristiques ». « On peut », poursuit l’auteur du Manuel de l’antitourisme, « s’attendre dans les années à venir à ce que les mobilités touristiques à destination de la Bretagne augmentent ».
Et le sociologue d’appeler les Bretons à agir rapidement « s’ils ne veulent pas que leur littoral se gentrifie et que la vie locale y devienne de plus en plus impossible » – comme cela peut être le cas dans d’autres départements où les locations saisonnières ont entraîné une hausse spectaculaire du prix de l’immobilier, désormais inabordable pour les locaux. Et en Bretagne, ce ne sont pas les sites en danger qui manquent, à l’image de la fameuse pointe du Grouin, le deuxième site naturel le plus visité de la région, avec quelque 600 000 touristes par an dont les voitures perturbent les cormorans huppés, tadornes de Belon et autres canards marins nichant à proximité. « Le genre de site », déplore Laetitia Heuzé, de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), « sur lequel il faut sans arrêt faire des compromis entre la fréquentation touristique et la préservation du site ».
« Protéger la biodiversité, c’est protéger l’Humain«
Ce grand écart entre, d’un côté, les impératifs économiques et, de l’autre, ceux liés à la préservation de l’environnement, c’est aussi celui auquel s’astreint l’île de Bréhat, dans les Côtes-d’Armor. Depuis trois ans, elle limite, en été, le nombre de visiteurs autorisés à débarquer sur son embarcadère à 4 700 personnes par jour. C’est aussi le cas de la plage de l’île Vierge, près de Crozon, dans le Finistère, victime de son succès depuis que la presse anglo-saxonne en a fait l’éloge au milieu des années 2010.
La liste des sites bretons qui vont devoir apprendre à arbitrer entre la manne financière du tourisme et la préservation de ce qui attire, précisément, ces mêmes touristes, est longue. La sensibilisation du grand public apparaît donc comme une étape incontournable. « Plus les gens ont conscience de ce qui existe ici, plus on peut espérer qu’ils aient à cœur de protéger cette nature », veut croire Claire Tabarly, de l’APRC, qui l’assure : « protéger la biodiversité, c’est protéger l’Humain ».