Le collectif écologiste militant composé de scientifiques a lancé un Tour de la décroissance avec le collectif citoyen Growth kills (La croissance tue). Une mobilisation sous forme d’actions coups de poing et de conférences improvisées dans toute l’Europe pour parler d’autres futurs économiques possibles.
Dans le cœur de Bruxelles le 29 novembre le Black Friday bat son plein. Cette fête est devenue ces dernières années une véritable célébration de la consommation, et les militants écologistes n’hésitent pas à mener des actions pour proposer un contre-récit moins consumériste.
Cette fois-ci, la cible est les galeries Inno, l’équivalent des galeries Lafayette en France. Pendant que quatre activistes grimpent pour coller des affiches « Quel futur voulons nous ?« , « Décidons ensemble !« , d’autres militants s’installent sur des chaises et commencent une conférence improvisée sur la décroissance. Parmi eux, des blouses blanches de Scientist rebellion, un groupe proche d’Extinction Rebellion constitué de scientifiques qui a pris de l’ampleur en 2022.
« Nous pensons que pour défendre le vivant, il faut sortir de nos labos », explique Wolfgang Cramer, écologue et géographe allemand. Figure du mouvement, il travaille à Aix-en-provence pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « Face aux défis environnementaux, nous avons constaté que les moyens de communication que nous avions jusque là étaient insuffisants. «
Un tour de la décroissance
La nouvelle bataille du groupe militant : se battre contre le « mythe de la croissance ». L’action à Bruxelles faisait partie d’un projet plus grand avec le collectif citoyen Growth kills, dont le nom peut se traduire par « La croissance tue ». Depuis quelques mois, ils ont lancé un Tour de la décroissance, une série d’actions et de conférences improvisées dans la rue ou dans des lieux de décision.
Le 10 décembre dernier, les deux collectifs donnaient une conférence de presse pour évoquer le futur de leur mobilisation. Avec un premier objectif : arriver à recruter plus de scientifiques pour mener des conférences dans de nombreux endroits en Europe. Comme la plupart des collectifs militants, ils observent une difficulté à recruter et à mobiliser. En France, Scientifiques en rébellion a déjà développé des actions à Marseille, Blois et Nancy.
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Le deuxième objectif du jour est la présentation des revendications. On y retrouve la reconquête des biens communs face à la privatisation du monde. Ils appellent à la création d’assemblées citoyennes souveraines avec des participants tirés au sort, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat. En plus, ils veulent faire payer les entreprises le vrai coût de leur activités, ou encore mettre fin à la surconsommation.
« Nous parlons de mythe de la croissance, car il y a un narratif qui donne l’impression qu’avec plus de croissance du Produit intérieur brut (PIB), tous les problèmes peuvent être résolus, abonde Wolfgang Cramer. Mais il ne faut pas confondre progrès économique, progrès social et progrès environnemental. Ces dernières années la recherche économique a montré que d’autres indicateurs comme la mesure du bien-être ou la mortalité infantile sont bien plus pertinents pour mesurer la santé d’une société et protéger l’environnement. »
Ne pas remplacer un mythe par un autre
Même si les actions de Scientist rebellion se concentrent sur la décroissance, le chercheur dit ne pas vouloir « remplacer le mythe de la croissance par un autre mythe », et veut ouvrir la discussion. D’où la forme des actions de désobéissance civile, qui s’incarnent par des conférences improvisées en plein air, s’il le faut la main collée au béton pour ne pas être emmené par les forces de l’ordre.
En juin dernier, toujours à Bruxelles, le groupe avait ainsi bloqué l’entrée de la Commission européenne. Il souhaitait ainsi dénoncer la faible prise en compte de l’idée de décroissance par les partis politiques européens. Un endroit très symbolique, puisque l’Union européenne, via le Pacte de stabilité et de croissance, est loin d’envisager une réduction de la consommation.
Où est la place du scientifique ?
« Nous devons aller là où les décisions se font », affirme Laura Stalenhoef, doctorante en neuroscience cognitive à l’université d’Hildesheim en Allemagne. Spécialisée dans les questions psychologiques vis-à-vis de l’urgence climatique, elle affirme jouer son rôle de scientifique par son action militante « car la responsabilité des scientifiques est de communiquer les résultats de leurs découvertes » même quand les politiques ne les écoutent pas.
« Je n’ai jamais eu aucune reproche ou contrainte de la part de collègues par rapport à mes activités médiatiques », abonde Wolfgang Cramer, qui rappelle que le Comité d’éthique du CNRS (COMETS) avait en juin 2023 publié un avis sur l’engagement public des chercheurs et des des chercheuses. Il statuait qu’il n’y avait pas « d’incompatibilité » entre être chercheur et prendre position publiquement, et incitait le CNRS à « protéger et à favoriser la liberté d’expression de son personnel ».