Le Sénat a examiné ce mercredi le projet de loi proposant une redevance privée sur les appareils reconditionnés. Cette initiative, portée par le gouvernement, vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique. Elle revient à imposer une taxe sur la copie privée. Objet de débats depuis plusieurs mois, cette redevance est loin de plaire aux revendeurs français de smartphones. Rcube et Smirret, deux syndicats du numérique, ont organisé un rassemblement devant le Sénat.
Ce mercredi 20 octobre, les acteurs du reconditionné (Recommerce, Largo, Smaaart, Agora Place, etc.) se sont rassemblés devant le Sénat pour protester contre la redevance copie privée sur les smartphones. À coups de marteau, ils détruisent des téléphones portables usagés pour symboliser le sort des appareils reconditionnés. « C’est ça la transition écologique aujourd’hui, des produits détruits, des sites de réparation fermés ! » s’exclame au microphone Alma Dufour, chargée de campagne de l’association Les Amis de la Terre. Pourtant, si le projet de loi visant à réduire l’empreinte du numérique était débattue au Sénat ce mercredi, c’est bien au gouvernement qu’ils s’adressent directement.
Une taxe pour les smartphones de seconde main
Retour en arrière. Le 12 octobre 2021, les sénateurs Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte, et plusieurs de leurs collègues, déposent une proposition de loi au Parlement. Le texte vise à responsabiliser les acteurs du numérique à la transition écologique. Parmi les objectifs présentés, la limite du renouvellement des smartphones, tablettes, et ordinateurs, en luttant contre l’obsolescence programmée. L’idée est d’orienter le consommateur vers de nouveaux comportements d’achats, en privilégiant le reconditionné plutôt que le neuf. « Aujourd’hui, ce sont 100 millions de téléphones portables venant de nos placards qui peuvent être réparés, indique Rcube. La production d’un smartphone neuf demande quatre kilos de ressources rares, et engendre 30% de CO2« . Un pourcentage que l’exécutif souhaite réduire.
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Le gouvernement entendait en janvier dernier exonérer les produits reconditionnés. Cependant, l’Assemblée nationale revient finalement sur cette proposition de loi, en soumettant la « rémunération copie privée ». Cette redevance, établie à dix euros pour les smartphones reconditionnés, doit payer les droits d’auteurs, suite à un affaiblissement financier pendant la pandémie. Depuis le mois de juin, elle fait l’objet de débats entre l’industrie et le monde de la culture. Associations environnementales et sénateurs dénoncent alors un recul du gouvernement.
Une concurrence renforcée et des emplois menacés
Avec cette redevance, les collectifs du numérique redoutent une plus forte concurrence des plateformes e-commerces. « On se sent abandonné par le gouvernement, alors qu’il dit privilégier le Made-in-France », témoigne Rcube. La taxe imposerait, selon le syndicat, une marge de dix euros sur les produits de seconde main, alors que les conditions pourraient « devenir de plus en plus difficiles » pour les réparateurs, si le texte est adopté. « Le gouvernement parle beaucoup de faire entrer l’écologie dans le débat public. Mais la réparation reste un vrai levier pour réduire les émissions carbones », insiste Alma Dufour, chargée de campagne pour Les amis de la terre.
Les manifestants craignent également la perte de milliers d’emplois. « Ce texte marque la fin de la réparation alors que cela représente plus de 60 000 emplois en France », poursuit Alma Dufour. À ses côtés, Ronan Groussier, responsable d’affaires publiques pour Halte à l’obsolescence programmée, s’inquiète de l’impact de cette redevance sur les premières cibles de l’achat reconditionné. « Ce sont des mesures qui touchent le pouvoir d’achat. Cela concerne notamment les plus modestes, ceux qui ont besoin du reconditionnement quand leur matériel tombe en panne ». Des propos rejoints par Rcube. « Cette taxe peut affecter les entreprises, surtout les plus petites », précise le syndicat.
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Les sénateurs en renfort
Légèrement écartés des pancartes, quelques sénateurs du groupe Écologiste – Solidarité & Territoires sont venus soutenir les militants. Favorables à la première version du texte qu’ils considèrent comme « une belle avancée », ils contestent en revanche la redevance copie privée. « Le reconditionné n’a pas à payer quoique ce soit, déplore Jacques Fernique, sénateur du Bas-rhin du Groupe Ecologiste – Solidarité & Territoire. Certes, il faut soutenir le secteur de la culture, mais la copie privée n’a rien perdu. Il y a eu évolution du marché« . Sur ce point, le sénateur regrette que le sujet « ait été traité par Roselyne Bachelot, et non par le ministre Cédric O ».
Les défenseurs de l’environnement et les acteurs du numérique comptent sur les amendements pour lutter contre cette redevance. Pour autant, Jacques Fernique souligne qu’une modification pèserait trop sur le calendrier parlementaire. C’est dans cette logique que la commission a finalement décidé de ne pas amender le texte. Le vote de la loi est prévu le 2 novembre prochain.
Sophie Cayuela