En 2023, les aéroports français ont vu passer près de 170 millions de passagers. Selon les acteurs du secteur, ce chiffre pourrait doubler d’ici 2040. Face à ce constat, Rester sur Terre et l’UFCNA se mobilisent pour demander le plafonnement du trafic aérien. Les deux collectifs dénoncent notamment les « impacts à la fois sanitaires et climatiques » du secteur.
Avec 169,9 millions de passagers en 2023, le trafic aérien a retrouvé en France son niveau de 2019. Il a donc repris son activité à un niveau pré-pandémique et continue même à la hausse. Face à cela, le réseau Rester sur Terre et l’Union française contre les nuisances des aéronefs (UFCNA) se mobilisent. Ce mercredi 13 mars, une vingtaine de mobilisations locales se sont déroulées en France. D’autres « se tiendront également entre le 13 et le 17 mars dans d’autres pays d’Europe », précise Rester sur Terre dans un communiqué de presse. L’objectif : demander le plafonnement du trafic aérien au-dessous du niveau de 2019 au ministre délégué aux Transports, Patrice Vergriete.
Dans cette perspective, les deux ONG ont obtenu un rendez-vous avec le ministère des transports ce vendredi 15 mars. Nous n’avons « aucune certitude du suivi des engagements de (l’ancien ministre) Clément Beaune sur l’étude du plafonnement du trafic. D’où pour nous quelques craintes de rétropédalage », a expliqué sur place Chantal Beer-Demander, présidente de l’UFCNA. En mai 2023, le ministère avait évoqué des études d’impact « à très court terme » afin « d’établir et d’analyser plusieurs scénarios de restrictions complémentaires sur les aéroports franciliens (plafonnement, couvre-feu, etc.) ». « Où en est-on maintenant? On n’en sait rien. Et ça nous inquiète », a regretté Chantal Beer-Demander. Le mouvement demande à être reçu par le ministre. Sollicités par l’AFP, les services du ministre confirment que « le cabinet du ministre a bien reçu une délégation pour écouter leurs demandes et les transmettre au ministre », sans plus de commentaire.
Promouvoir la réduction du trafic aérien
Rester sur Terre et la UFCNA dénoncent particulièrement les « impacts à la fois sanitaires et climatiques » du secteur aérien. « Nous sommes face à trois menaces vitales : le bruit, les pollutions atmosphériques et les émissions de GES, trois menaces qui, chacune devraient être traitées de toute urgence par les pouvoirs publics », explique Charlène Fleury, organisatrice du réseau Rester sur Terre. De plus, le trafic « pourrait doubler d’ici 2040 selon les acteurs du secteur », rappelle le réseau.
Selon les chiffres du ministère de la transition écologique, « l’aviation ne contribue qu’à hauteur de 2% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale ». Cependant, selon Rester sur Terre, cette moyenne mondiale cache des chiffres français bien différents. « En France, l’aviation contribue non pas pour 2%, mais pour 6,8% aux émissions de CO2 et pour 15 % aux émissions totales de gaz à effet de serre si on intègre les éléments omis », calcule le réseau.
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« La bonne nouvelle, c’est qu’il existe une solution unique à ces trois problèmes : le plafonnement du trafic aérien, poursuit Charlène Fleury. La mauvaise, c’est que pour le moment la réponse de la France n’est pas à la hauteur. » En effet, selon les deux ONG, la réduction du trafic aérien est la seule solution. Alexis Chailloux, responsable aviation au sein du Réseau Action Climat, a détaillé ce point lors d’un point presse le 13 mars. « [Une des solutions pour décarboner le secteur aérien], mise en avant par l’industrie, ce sont les solutions technologiques. Différentes techniques sont proposées : l’avion à l’hydrogène, les biocarburants, le carburant de synthèse… Toutes ont des avantages et des inconvénients« , précise-t-il. Cependant, « tout arrive trop tard. […] La conclusion qui s’impose c’est que nous n’arriverons pas à limiter les émissions du secteur si on ne réduit pas le trafic aérien », prévient-il.
La réduction du trafic aérien : l’unique solution ?
En 2022, dans une étude présentant différents scénarios pour décarboner le secteur aérien, l’ADEME était arrivée à des conclusions similaires. L’étude avait pour objectif « d’analyser de manière objective les chemins possibles de la transition écologique pour [l’aviation] ». Sur la base de différents leviers de décarbonation, l’ADEME avait alors envisagé trois scénarios. Le premier, basé principalement sur les apports technologiques, envisage un important investissement dans l’aéronautique et dans les carburants d’aviation durables, avec une hausse du trafic de 61 % par rapport à 2019. Le deuxième mise principalement sa décarbonation sur la modération du trafic aérien, avec une baisse de 15% du trafic en 2050 par rapport à 2019, et les carburants d’aviation durables. Enfin, le dernier joue sur tous les leviers, avec des curseurs moins poussés, et aboutit à une hausse du trafic de 26% en 2050.
Dans son premier scénario, l’ADEME a constaté que les émissions annuelles de CO2 diminueraient de 24 millions de tonnes de CO2 en 2022, à 23 millions en 2030, puis 9 millions en 2050. Le troisième scénario suit une courbe similaire, passant de 22 millions de tonnes en 2030 à 10 millions en 2050. Le scénario modérant le trafic obtient encore de meilleurs résultats. En effet, la modération du trafic aérien permettrait de passer à 17 millions de tonnes de CO2 en 2030, puis à 5 millions en 2050. Ainsi, selon l’ADEME, la réduction du trafic est “un levier majeur de réduction des émissions de co₂ du secteur aérien”. De plus, il est également « le seul levier disponible à court terme. C’est-à-dire qui peut être appliqué rapidement, à grande échelle et produire des résultats immédiats ».
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Également, comme le rappelle Alexis Chailloux, l’ADEME conçoit que chaque scénario présente ses limites et ses inconvénients. « Même si les résultats en termes d’émissions de CO₂ montrent que le scénario B [le numéro 2] est le plus efficace, le choix de l’un des trois scénarios ou d’une variante relève d’un arbitrage stratégique et politique ». Ce choix dépend alors « de ses résultats en matière d’émissions de CO₂, mais aussi des contraintes, avantages, inconvénients et limites de chacun des scénarios », explique l’agence.
Baisser le trafic aérien pour protéger la santé
Selon l’Agence européenne de l’environnement, la pollution de l’air par les particules fines provoque plus de 250.000 décès par an en Europe. D’après Rester sur Terre, de manière locale, l’aviation contribue fortement à cette pollution. « Les particules ultrafines émises par les réacteurs d’avion sont plus petites que celles des moteurs diesel, et donc plus toxiques. Mais elles ne sont ni réglementées ni mesurées. La pollution atmosphérique des aéroports reste la grande oubliée des politiques de qualité de l’air », explique le réseau. Voici une raison de plus pour ce dernier de mieux encadrer le trafic aérien.
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Et ce n’est pas le seul impact environnemental à prendre en compte. L’ADEME cite en plus la baisse de la biodiversité et l’artificialisation des sols causée par l’extension des aéroports ainsi que les nuisances sonores. « Le bruit est l’un des facteurs majeurs d’atteinte à la santé au niveau environnemental avec la pollution de l’air et la pollution chimique », explique le Dr Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association Santé Environnement France. « [Le bruit] représente également un problème de santé publique majeur : troubles du sommeil, troubles cognitifs et de l’apprentissage chez les enfants, hypertension, maladies cardiovasculaires », détaille Rester sur Terre. « À Roissy, les riverains perdent jusqu’à 3 années de vie en bonne santé à cause du bruit. Rien qu’en Île-de-France, 2 millions de personnes sont exposés à des niveaux de bruits dépassant les normes de l’OMS », ajoute l’UFCNA.
“Si c’est possible aux Pays-Bas, c’est possible en France”
Pour guider leurs revendications, les deux ONG ont un modèle : l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. « En 2022, le gouvernement néerlandais a pris la décision historique de plafonner le trafic de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol à 440.000 mouvements/an, en dessous du niveau de 2019, pour protéger les riverains et le climat », explique Rester sur Terre. Cette mesure devait prendre effet en 2024. Cependant, en novembre 2023, elle a été suspendue suite à l’intervention de la Commission européenne des transports. Celle-ci, dans un courrier exprimait de « sérieuses préoccupations » concernant la décision du gouvernement hollandais. Pour le moment, le sort de cette mesure repose entre les mains de la Cour suprême des Pays-Bas. Sa décision n’est pas attendue avant le deuxième trimestre 2024.
Pour les deux ONG, l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, et la décision du gouvernement hollandais, reste tout de même un exemple à suivre. « Cela montre que [la limitation du trafic aérien] est possible politiquement aux Pays-Bas, alors pourquoi pas chez nous ? », demande Charlène Fleury. En effet, selon l’ONG, la fréquentation de l’aéroport hollandais est « comparable à celle de Roissy-Charles de Gaulle ». Ainsi, si une telle mesure est envisageable à l’aéroport d’Amsterdam, elle devrait l’être à Roissy, affirment les deux ONG.
L’avenir des aéroports francilien, et de leur trafic, s’étudie dans le cadre des procédures d’études d’impact selon l’approche équilibrée (EIAE). Cette procédure est actuellement en cours pour la plupart des aéroports français les plus fréquentés. « En fait, ce sont des directives européennes qui sont déclinées à l’échelle française », explique Audrey Boehly, journaliste scientifique spécialiste des limites planétaires. « C’est la seule procédure qui permet aujourd’hui d’obtenir un plafonnement [du trafic]. C’est dans le cadre de cette procédure que l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol a obtenu une décision politique pour le plafonnement ».