Le 22 avril dernier, Greenpeace, Anticor et La Sphinx, association d’anciens élèves de Polytechnique, déposaient plainte contre Patrick Pouyanné, PDG du géant pétrolier Total. Également membre du conseil d’administration de l’école, il est mis en cause pour prise illégale d’intérêts.
Le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné fait l’objet d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet national financier (PNF). Il est mis en cause pour prise illégale d’intérêts en sa qualité de membre du conseil d’administration de l’École Polytechnique. Dévoilée par Le Monde ce mercredi, l’information a été confirmée par le PNF.
En 2019, les élèves de l’École Polytechnique prennent connaissance d’une future implantation de TotalEnergies au sein de leur école. Cette décision qui datait de 2018 est rapidement contestée, notamment par la Sphinx, association créée par des anciens élèves de Polytechnique. Matthieu Lequesne, porte-parole du groupe, rappelle que cette implantation ne sera pas un centre de recherche partagé. « Le centre sera seulement composé d’employés Total et servira l’entreprise », assène-t-il.
Matthieu Lequesne le résume bien : « On alerte sur le risque de tomber dans un partenariat trop exclusif mais surtout irréversible. » Pour ces élèves, l’enjeu concerne avant tout l’indépendance de l’École Polytechnique.
« Il n’y a jamais eu de réaction ni de discussion au sein de l’école »
L’image de l’école à moyen terme inquiète la Sphinx et de nombreux élèves. Le porte-parole estime que « quand bien même il n’y aurait pas d’ingérence, le simple soupçon peut nuire aux élèves, au corps enseignant et aux chercheurs.« Il ajoute à cela qu’il subsiste un problème de gouvernance, mêlant intérêts privés dans un établissement pourtant public.
Et pour la Sphinx, qui dit mauvaise gouvernance dit crise de confiance.« Pour nous il est impossible d’envisager sereinement des prises de décision au CA tant qu’il y aura Patrick Pouyanné« , estime Matthieu Lequesne. Ce dernier, tout comme des centaines d’anciens élèves, demande la démission du PDG.
Clara Gonzales, juriste à Greenpeace, l’affirme. « Il n’y a jamais eu de réaction, ni de prise de conscience ou de discussion ouverte au sein de l’école. » Un constat partagé par la Sphinx. Le collectif dénonçait en mai dernier le refus de la direction de rendre publics les procès-verbaux du CA. Pourtant, la loi rend cette communication obligatoire.
Le conseil d’administration n’a pas évoqué la question du conflit d’intérêt malgré la loi relative à la transparence qui oblige l’identification des conflits d’intérêt. Pour Clara Gonzales, le mutisme du CA n’est pas étonnant. « C’est un CA qui rassemble différents ministères, notamment celui des Armées. Ce sont des personnes qui sont censées être au courant de ce devoir de transparence », enchérit la juriste.
La Sphinx avait également transmis une note juridique aux administrateurs afin de les alerter des différents risques juridiques du processus. Comme l’explique Matthieu Lequesne, « politiquement on estime que le CA a tort. On a pointé les risques. Légalement on attend la décision de justice, en laquelle on a confiance. »
Convergence des luttes
Autour de la petite association d’anciens élèves, une coalition structurale naît. Matthieu Lequesne revient sur cette conjoncture. « On s’est tourné vers les spécialistes de la question : Anticor sur les questions de gouvernance et Greenpeace sur le suivi de stratégie d’influence. » Une fois ces forces réunies, plus de doute sur la tangibilité des éléments à présenter au PNF.
Pour Greenpeace, il est évident que « l’implantation du plus grand pétrolier français au sein d’une école d’élite est problématique. Elle forme les futurs dirigeants en matière de politique environnementale. C’est un sujet qui nous concerne au premier chef. »
Cette tactique juridique s’inscrit dans une campagne de Greenpeace sur la mainmise de différentes institutions publiques par le privé. Ces grandes entreprises « détiennent un pouvoir démesuré« , abonde la juriste. Un pouvoir silencieux que Greenpeace France dénonce dans sa série documentaire « Emprise Total« . La série décortique notamment la stratégie d’influence et le soft power de l’entreprise. Car l’École Polytechnique n’est pas un cas isolé, « il y a aussi Sciences Po, les musées, les stades… », explique Greenpeace.
Anticor, association anticorruption française, fait également partie de cette coalition. Pour Maëlys Fourneaux, chargée de communication de l’association, « l’enjeu est de conserver la neutralité de l’enseignement public. » Anticor a d’abord apporté une aide juridique à La Sphinx. « Puis on a décidé de porter une plainte commune, pour donner du poids et faire entendre cette problématique », raconte Maëlys Fourneaux.
Patrick Pouyanné juge les accusations “absurdes”
Si un juge d’instruction est nommé, Anticor sera la seule des trois associations à pouvoir poursuivre l’affaire puisqu’elle est agrémentée. L’association le défend. « Il y a une tentative d’intrusion du privé dans l’enseignement public. Cela fait partie de notre plaidoyer de limiter cette emprise et cette porosité entre les deux milieux. »
Il appartiendra au Parquet de décider des suites qu’il entend apporter à cette affaire. Pour Total, l’intérêt est d’être au coeur d’un écosystème mondial d’innovation. Le 13 septembre, dans une tribune publiée dans la Tribune, Patrick Pouyanné jugeait ces polémiques « un peu absurdes au regard des enjeux de la transition énergétique ».
Jeanne Guarato