Elle a la préservation de l’environnement chevillée au corps. En Haïti, Jane Wynne, une septuagénaire très énergique, travaille en famille pour protéger les terres où elle a toujours vécu.
Sa longue chevelure blanche est nouée en tresse sur son épaule. Jane Wynne, 75 ans, arpente toujours avec le même enthousiasme le jardin médicinal planté au cœur de la montagne haïtienne. Son militantisme écologique, elle l’a reçu tel un héritage génétique. D’un père américain et d’une mère haïtienne, elle naît dans une commune du bord de mer à proximité de Port-au-Prince. À dix ans, elle découvre le village de Kenscoff dans les montagnes qui surplombent la baie.
Aujourd’hui, elle se souvient des conseils que lui donnait son père, lorsqu’elle n’était alors qu’une enfant. « Il ne faut pas penser à nous seulement, à Kenscoff. Mais il faut aller plus large, Haïti, et puis la planète. Pour toucher la planète, il faut commencer localement, même si c’est juste le mètre carré où nous sommes », se rappelle Jane. « Mon père voulait faire une ferme de démonstration car il avait déjà réalisé que l’érosion commençait », ajoute-t-elle.
« Toujours la seule femme »
Dans un pays culturellement machiste, elle a au fil des ans développé son expertise dans l’univers agricole. Jane Wynne a réussi à se faire une place dans ce domaine, pourtant dominé par les hommes. « S’il y avait un groupe pour faire une plantation à la montagne, ce n’était que des hommes. Je me trouvais toujours la seule femme » témoigne-t-elle en étouffant, telle une enfant, son rire aigu à deux mains.
Porter sur la tête l’eau pour arroser les jardins. Porter sur la tête les fruits d’une récolte pour aller les vendre au marché. Telles sont en Haïti les tâches harassantes qui incombent aux femmes de la sphère paysanne. « Même si j’avais une jupe, je portais toujours mes bottes pour monter à la montagne. » Voilà les souvenirs que Jane Wynne garde du début de sa vie d’adulte. « On me regardait comme si j’étais une extraterrestre. Les gens se disaient: ‘Elle, avec des bottes? Qu’est-ce qu’elle pense? C’est un métier d’homme' », rigole-t-elle avec malice.
Jane Wynne, « une femme vaillante »
Après le décès de son père en 1994, le destin écologiste de Jane Wynne a pris une autre tournure. Elle a repris le flambeau pour la préservation des plus de 12 hectares de la réserve écologique. « C’est un combat familial. J’ai mes enfants qui travaillent, mes petits enfants aussi, quand ils sont en Haïti. Et la famille s’est élargie » explique Jane qui compte, selon les saisons, entre 15 et 25 personnes dans son équipe.
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L’un de ses deux filles, Mélissa Day, est à ses côtés au quotidien. En Haïti, la pollution des eaux, des sols et de l’air est incontrôlée. Elle sait combien est immense la mission que s’est choisie sa mère d’éveiller les consciences de ses compatriotes. Mélissa Day va à la rencontre des écoliers pour les sensibiliser à la protection de l’environnement. Une activité qu’elle estime essentielle lorsqu’elle scrute les chemins où la jeunesse haïtienne ne manque pas de semer quelques déchets en plastique.
« Ma mère, c’est une femme vaillante. Elle porte un flambeau depuis des années qui n’a pas peur de l’obscurité. Elle avance », témoigne Mélissa, avec admiration. Enseignant le yoga à la Wynne Farm, la jeune quadragénaire à la silhouette élancée tente parfois de tempérer le dynamisme de sa mère. « Jane est têtue! Heureusement je lui ai interdit de continuer à conduire. Sinon, elle irait partout dans le pays: elle n’a pas peur » assure Mélissa en riant.
Menaces d’hommes en armes
Pourtant, ces derniers mois, du fait de la prolifération des gangs, l’insécurité a gagné du terrain en Haïti. De plus, cela fait longtemps que les terres de la réserve écologique attirent les convoitises de certains individus. Leur objectif est de bâtir des résidences dans la fraîcheur de la montagne. « Nous avons fait face plusieurs fois à des situations désagréables. Des hommes en arme, plusieurs années de menaces contre notre équipe et nos animaux » détaille sobrement Mélissa Day.
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Tout en étant prudente, Jane Wynne n’a jamais jeté l’éponge. Pour le moment, la septuagénaire veille à ce que son berger allemand Zao ne rentre pas dans l’enclos avec elle. La militante s’y amuse à nourrir les deux alpagas récupérés du mini-zoo qu’avait ouvert une fondation religieuse voisine. « Jane a la même énergie que quand elle avait 10 ans. Elle est une source qui donne tant de connaissances » témoigne Pierre Michard Beaujour. Il est agronome et travaille à la réserve écologique.
Infatigable, Jane Wynne veut convaincre les jeunes de l’urgence de la situation. « Dans dix ans, les gens de Port-au-Prince en bas vont avoir beaucoup de problèmes pour trouver de l’eau. Parce qu’on déboise trop. On construit aujourd’hui sur le sommet ici où trois rivières prennent naissance » alerte une fois encore la militante.
Chaymaa Deb avec AFP