Des militants d’Extinction Rebellion et Scientifiques en rébellion ont été jugés coupables, mais pas condamnables pour avoir occupé illégalement en 2022 le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris pour alerter sur l’urgence écologique. Le parquet a fait appel, mais les prévenus espèrent que cette décision devienne une jurisprudence.
« C’est une victoire rare pour l’action militante qu’il faut apprécier. » Thomas Bredillard, avocat des militants d’Extinction Rebellion, ne cache pas son soulagement. Près de deux ans après une action de désobéissance civile menée par Scientifiques en rébellion et Extinction Rebellion dans le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, le Tribunal de police de Paris a relaxé le 26 septembre dernier les quatre prévenus de ce procès.
Plaidoyer pour le vivant au milieu des squelettes
Le 9 avril 2022, une trentaine de militants dont de nombreux scientifiques ont occupé la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du muséum pendant 2 heures 30. L’action est baptisée « La nuit de l’extinction », et sous l’emblématique squelette du mammouth de Durfort se sont succédées des conférences scientifiques retransmises en direct sur internet. Le but : « alerter sur l’effondrement de la biodiversité et la crise climatique ».
Des chercheurs du CNRS, des agronomes ou encore des écologues, tous vêtus de blouses blanches avec l’inscription « Scientifiques en rébellion », du nom du mouvement militant proche d’Extinction Rebellion, prennent ainsi la parole sur leur domaine de recherche. L’action prend la forme d’un plaidoyer pour la sauvegarde du vivant.
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« Quand on est sorti, la police a pris notre identité, et dix-huit d’entre nous ont reçu par la suite des amendes administratives d’environ 300 € qui sont arrivées en deux salves. La majorité d’entre nous a contesté, ce qui a conduit à plusieurs procès », nous raconte Marceau Minot, écologue spécialiste des libellules qui a animé une des conférences.
Coupables, mais pas condamnables
Avec trois autres militants, parmi lesquels des scientifiques, il a été jugé le 26 septembre. Avec à la clé une relaxe pour une raison inattendue : le juge les considère coupables, mais pas condamnables au regard de « l’état de nécessité ». L’article 122-7 du Code pénal énonce qu’une personne n’est pas responsable pénalement si elle accomplit « un acte nécessaire » face à « un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien ». Le danger étant ici l’urgence climatique et la lenteur des gouvernements à y répondre.
Le jugement statue ainsi que l’action de désobéissance civile dans le Muséum national d’Histoire naturelle était « nécessaire, mesurée et adaptée pour accélérer la prise de conscience et la sensibilisation de l’opinion publique aux fins d’obtenir plus rapidement des pouvoirs publics des politiques climatiques plus ambitieuses ».
Une potentielle jurisprudence
Thomas Bredillard, avocat des militants et habitué des affaires de désobéissance civile, admet que c’est la première fois que ses clients obtiennent une relaxe pour état de nécessité. « Cela peut créer une jurisprudence pour d’autres affaires, confie-t-il à Natura Sciences. Dès le lendemain de la décision de justice, des confrères m’ont demandé de leur envoyer pour pouvoir s’en servir dans leurs dossiers »
La décision du juge est d’autant plus inattendue que ce n’est pas le premier procès concernant la même affaire de désobéissance civile. En janvier dernier, huit autres personnes ayant participé à « La nuit de l’extinction » étaient jugées pour les mêmes motifs. « Nous avions toutes et tous été relaxés, se souvient Pierre Mathieu, mathématicien et professeur à l’université Aix-Marseille. Mais pour une autre raison : la juge a considéré que l’infraction était insuffisamment caractérisée, car même le procureur ne savait pas si ce que nous avions fait dans le muséum était illégal. » Dans le verdict final, la juge souligne que les militants avaient payé leur billet d’entrée dans le musée, et qu’il n’était pas sur qu’on leur ait demandé de sortir.
L’état de nécessité, une décision rarissime
Obtenir un jugement invoquant l’état de nécessité est donc très compliqué, car cela demande à la fois d’être reconnu coupable, mais en même temps de faire une action extrêmement proportionnée. Les organisations militantes essayent depuis des années d’obtenir ce type de jugement, pour faire en sorte que le droit change en leur faveur.
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L’état de nécessité a été prononcé dans d’autres affaires, comme le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron à Lyon, ou une autre action d’Extinction Rebellion dans le port de La Rochelle où des militants avaient installé des banderoles sur des silos à grain pour dénoncer l’agro-industrie.
Un autre procès en vue
Pour les quatre militants d’Extinction Rebellion et Scientifiques en rébellion relaxés en première instance, la procédure judiciaire n’est pas finie pour autant. Le parquet a fait appel de la décision, et un autre procès devra avoir lieu. Thomas Bredillard, l’avocat des militants, estime que c’est l’état de nécessité qui dérange. « Le parquet n’a pas envie que cela crée un précédent, et veut un jugement différent », suppose-t-il.
Contacté, le parquet dit de son côté faire appel car « il estime que les éléments constitutifs d’une infraction sont caractérisés ». Le muséum national d’Histoire naturelle, à l’origine de la plainte mais ne s’étant pas constitué partie civile, dit ne pas vouloir s’exprimer sur la question.
Les militants d’Extinction Rebellion vont devoir à nouveau se présenter à la justice. « Les procédures judiciaires sont éprouvantes, admet Marceau Minot, écologue parmi les prévenus. Même si on obtient des victoires, on est confronté au temps de la justice qui est très long, alors qu’on est là pour alerter sur l’urgence écologique qui n’attend pas. »