Depuis quelques années, un « trafic lucratif » se joue : celui de l’exportation transfrontalière illégale des déchets. En Lorraine nord, plusieurs entreprises belges ou luxembourgeoises n’hésitent pas à venir déverser leurs ordures du côté français de la frontière, selon une enquête de l’AFP.
Légale ou illégale, depuis des années l’exploitation de déchets transfrontaliers augmente au nord de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle. Au grand dam de nombreux élus et riverains, « excédés par la pollution« , conséquence des déchets ou de la circulation. « Les décharges sauvages se trouvent sur d’anciennes carrières ou sur des friches industrielles sidérurgiques », observe Dorothée Habay-Lê, directrice du Groupement européen de coopération frontalière territoriale Alzette-Belval.
Fin 2019, à proximité de Longwy (Meurthe-et-Moselle), l’interception d’un semi-remorque avait démontré la forme quasi industrielle que peut prendre ce genre de trafic. Les camions avaient laissé quelque 900 tonnes dans la nature. Une information judiciaire avait été ouverte à Briey avant d’être dépaysée à la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille, laquelle avait dans son collimateur le commanditaire belge.
Les douanes ciblent aussi les déchets illégaux
Depuis quelques années, les douanes ciblent aussi les déchets illégaux. « 132 tonnes en 2019, 50 en 2020 malgré la pandémie et déjà 20 entre janvier et mars », souligne Thomas Daguin, responsable des douanes pour la Lorraine nord.
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Pour les enquêteurs, cela reste insuffisant. « Tous les grands chefs de la gendarmerie à Metz évoquent cette problématique des déchets transfrontaliers. Mais il y a toujours une autorisation d’une municipalité ou d’une autre instance. Et donc pas d’infraction« , constate le lieutenant Harold Dardart, patron du détachement de Metz de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP).
Un trafic «très lucratif» au nez et à la barbe des autorités
« La législation complexe permet à certains de faire ce qu’ils veulent au nez et à la barbe des autorités. Ce trafic est très lucratif », déplore une source proche du dossier. Un contrevenant déjà condamné n’hésite pas, par exemple, à continuer son activité près de Thionville (Moselle).
Selon la réglementation, il existe deux sortes de procédures de transport de déchets. La première, la « notification », mise en place avec la Convention de Bâle, concerne les dangereux. Pour les autres, un document d’information accompagne le déchet pour être remis aux autorités si nécessaire.
Mieux cibler les contrôles pour les pôles judiciaires régionaux
Le Luxembourg, en manque de décharges, doit exporter annuellement quelque deux millions de tonnes de déchets, notamment inertes (terre…). Le tarif du marché parallèle est de « 4-5 euros le mètre cube » contre « 10-12 euros » pour l’officiel, note le lieutenant Dardart.
« Les contrôles aléatoires manquent d’efficacité, il faut du renseignement », prévient le procureur général de Nancy Jean-Jacques Bosc. Il compte « sur la coopération transfrontalière » et les nouvelles règles instaurées en France en décembre pour « dynamiser » cette lutte. Le Luxembourg a déjà participé à plusieurs opérations coup de poing avant la pandémie.
En ce sens, pour Jean-Jacques Bosc, les pôles judiciaires régionaux (Metz, Nancy) en matière d’environnement, entrés en vigueur le 1er avril, devraient « fluidifier » la recherche car « un seul interlocuteur facilitera les choses« . « On doit faire de la pédagogie », fait aussi valoir Thomas Daguin, parlant des particuliers qui passent les frontières avec leurs poubelles. « Je ne savais pas que c’était interdit », plaide ainsi Cécile, 37 ans, prothésiste-angulaire à Differdange (Luxembourg), dont le sac poubelle trône sur la banquette arrière de sa voiture lors d’un contrôle.
Il lui en coûtera 50 euros, acquittés directement aux douaniers. Ceux-ci peuvent infliger des amendes de plusieurs milliers d’euros avec rétention du véhicule jusqu’à paiement, selon Thomas Daguin. Le parquet n’est saisi que des infractions graves.
La Lorraine n’est pas l’unique région frontalière à souffrir des déchets étrangers. « La Suisse manque d’installations de stockage. Le Jura et le Haut-Rhin connaissent la même problématique », confie une source environnementale.
Natura Sciences avec AFP