Une autorisation exceptionnelle de manifester a permis aux militants de se réunir à la COP28 à Dubaï. Contexte géopolitique oblige, les appels au cessez-le-feu à Gaza ont fait de l’ombre aux habituelles revendications climatiques. Pour ces militants, parler de guerre ou de climat, relève du même combat. À cette occasion, Natura Sciences a rencontré l’activiste indienne Disha Ravi et la Samoane Brianna Fruean.
Une fois n’est pas coutume, la société civile n’a pas manqué de se mobiliser à l’occasion de la COP28. Alors qu’à Dubaï les manifestations sont interdites, quelques petits groupes ont profité de l’autorisation exceptionnelle de s’exprimer au cœur du Centre des expositions. Dans les allées de la zone bleue (où se tiennent les négociations officielles, séparée de la zone verte, ouverte au grand public), se baladent parfois des jeunes gens déguisés en marsouin pour protester contre l’exploitation de combustibles fossiles. Ailleurs, des petits groupes de deux ou trois personnes arborent timidement des pancartes. On y lit « no fossil fuels » (« pas de combustibles fossiles »).
Le cessez-le-feu avant le climat
Mais pour une fois, les défenseurs de la cause climatique ne sont pas les plus bruyants. Tantôt keffiehs au tour du cou, tantôt sans, les militants pro-palestinens n’ont pas pas manqué de faire entendre leur voix. Le plus fort possible. Un après-midi, une vingtaine de personnes s’époumonent : « Ceasefire now ! » (« Cessez-le-feu maintenant ! »). La sécurité les avait parqués au bord d’une allée. Les manifestants sont peu visibles, mais bien audibles.
Ce 9 décembre, journée mondiale pour la justice climatique, finie la discrétion. À 15h30, sous un soleil de plomb atténué par un gigantesque auvent ajouré, un demi-millier de militants forment une foule compacte. Une femme d’une quarantaine d’années électrise l’audience en hurlant dans son micro. Un dialogue s’installe : « What do we want ? Climate Justice ! When do we want it ? Now ! » (« Que voulons-nous ? La justice climatique ! Quand la voulons-nous ? Maintenant ! »). Derrière elle, une gigantesque banderole noire. Le slogan inscrit en lettres blanches est clair : « Ceasefire now ! ». Le début du cortège milite pour Gaza. Les porteurs de messages climatiques se trouvent plusieurs rangs derrière.
Voici donc que la seule manifestation climatique d’envergure, à la modeste échelle de Dubaï, doit partager la scène avec des revendications politiques. Pendant deux heures, les activistes pro-Gaza battent le pavé à l’intérieur de la zone bleue. Les camarades spécialistes des marches pour le climat suivent sans ciller. En fin de cortège, Natura Sciences a échangé avec deux défenseures de la justice climatique, l’Indienne Disha Ravi et la Samoane Brianna Fruean. Elles se sont livrées sur leurs sentiments vis-à-vis de la COP28, et sur la cohabitation des luttes pour la justice climatique et les droits humains.
Natura Sciences : Que pensez-vous de cette COP28 ?
Disha Ravi : La COP28 ici à Dubaï, comme toutes les autres COP, est légèrement décevante. Il y a beaucoup trop de paroles, et pas assez d’action. Il faut que les dirigeants tiennent parole et respectent les engagements sérieux qu’ils ont pris. En plus, je rappelle que certains de leurs engagements ne sont même pas assez ambitieux pour permettre le début d’une action.
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Par exemple, la création du fonds pertes et dommages a été largement saluée. Je l’ai chaleureusement saluée aussi. Désormais, il est essentiel d’alimenter le fonds pour qu’il puisse réellement exister. Dans ce contexte, que penser des États-Unis, qui n’ont honteusement promis que 17 millions de dollars pour ce fonds. Ce pays a investi des centaines de milliards de dollars dans la guerre ! Il faut que les pays développés donnent la priorité à l’action climatique plutôt qu’à la guerre. Sans cela, nous vivrons un retour en arrière.
Brianna Fruean : Je pense que cette COP28 est comme beaucoup d’autres rendez-vous du même type. Il y a un changement progressif, une ambition très lente. Et encore, ambition, le mot est fort. On ne peut vraiment pas appeler cela de l’ambition. L’action des dirigeants pour le climat a déjà 28 COP de retard.
Au début de cette COP, beaucoup de personnes disaient que l’ambiance était relativement bonne. L’avez-vous ressenti ?
Disha Ravi : Honnêtement, à titre personnel, je ne suis pas très positive. Il y a trop d’actions à faire, il y a trop de travail à faire. Même s’il y a du positif, ce n’est pas encore suffisant. Nous devons continuer à demander des comptes aux dirigeants, tout au long du chemin.
Brianna Fruean : Je pense qu’il y a tout de même des éléments positifs qui ressortent de la COP28. Je ne veux pas discréditer les progrès qui ont été réalisés, en particulier ceux obtenus grâce à la société civile et les populations autochtones. La promesse de la COP27 sur les pertes et dommages s’est concrétisée cette année. C’est une bonne chose. En ce sens, je ne veux pas dire que c’est un échec complet. Cependant, je reste convaincue que cela n’est pas suffisant. Même le fonds pertes et dommages ne suffit pas pour faire véritablement face à la crise à laquelle nous assistons aujourd’hui. En somme, je reconnais qu’il y a une certaine positivité, mais il faut qu’il y en ait beaucoup plus. Et plus que de la positivité, il faut de l’action, il faut de l’ambition.
Pourquoi est-ce important à vos yeux de parler à la fois de justice climatique et de la situation à Gaza durant cette COP28 ?
Disha Ravi : C’est une question de défense des droits humains. Il est important de rappeler que la défense des droits humains et la justice climatique, c’est fondamentalement le même combat. Ces luttes ont des racines communes. Aujourd’hui nous, activistes, exigeons beaucoup de choses, et principalement un cessez-le-feu immédiat en Palestine. Nous militons aussi pour la paix et la justice pour les Palestiniens.
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Brianna Fruean : La grande manifestation de la COP28 est une belle démonstration de ce que doivent être des nations unies. Dans les salles de négociations, je ne vois pas de nations unies. J’entends des histoires de petits États insulaires bloqués par de grands continents. J’entends des histoires de négociateurs représentant des communautés vulnérables bloqués par des lobbyistes des combustibles fossiles. Cela ne donne pas l’impression de nations unies. Cela ne reflète pas non plus la raison d’être profonde de l’Organisation des Nations unies.
L’Onu est une organisation qui a justement été créée pour protéger les populations vulnérables. Ce sont ces mêmes personnes qui protestent aujourd’hui durant les manifestations. Ils portent l’énergie et le système de valeurs dont nous avons sincèrement besoin pour guérir cette planète.
Pensez-vous qu’une COP dédiée au climat est le bon endroit pour protester contre ce qu’il se passe actuellement dans la bande de Gaza ?
Disha Ravi : Un génocide est en cours. Il faut absolument en parler. L’une des raisons pour lesquelles ce génocide a actuellement lieu est qu’il y a des gisements de gaz à Gaza, que convoitent Israël. [Le conflit en cours à Gaza a débuté à la suite de l’attaque du Hamas contre des civils le 7 octobre dernier au festival « Tribe of Nova ». Près de 1.200 personnes sont décédées lors de cette attaque. Depuis, les ripostes israéliennes ont provoqué la mort de près de 18.000 personnes, dont faisaient partie de nombreux enfants, NDLR.]
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Il est vraiment important de souligner l’intersection de la justice climatique et de la paix à Gaza, pour les femmes, les enfants et les hommes de Gaza. Nous ne pouvons pas obtenir de justice climatique tant qu’il n’y aura pas de justice pour les Palestiniens.
Brianna Fruean : Je crois qu’il ne peut pas y avoir de justice climatique sans droits humains. Comment parler de protéger la planète sans envisager de protéger les populations ? Ce qui arrive actuellement à Gaza n’a pas qu’un impact géopolitique. Le sol de Gaza aussi est meurtri. Tous les arbres brûlés, la terre bombardée, c’est aussi une forme de destruction de la planète. À Gaza, on détruit à la fois la nature et des vies humaines. Cela n’a pas de sens de parler de justice climatique si nous n’implorons pas les dirigeants de faire valoir la justice pour la population de Gaza.