Les médias indépendants fourmillent d’idées et d’énergie. Mais face aux médias mainstream et aux portefeuilles de leur patrons milliardaires, difficile de faire le poids. Pour renforcer le poids et la voix des initiatives éditoriales libres et indépendantes, la coopérative Coop-médias vient d’être lancée, le 9 octobre dernier. À cette occasion, Natura Sciences s’est entretenu avec Lucie Anizon, directrice générale de Coop-médias.
Coop-médias, c’est la volonté de contribuer à renforcer le pot de terre contre le pot de fer. Ce mercredi 9 octobre dans la salle des fêtes comble de l’Académie du Climat (Paris), plus de 300 personnes ont assisté au lancement d’une coopérative citoyenne d’un nouveau genre. En dépit de la pluie diluvienne, le public a accueilli avec satisfaction la naissance de cette initiative. Son objectif : contribuer au financement des médias indépendants au nom du pluralisme de la presse française.
Dans la grande galaxie de l’information, dont font partie des titres tels que Natura Sciences, Blast, Street Press, La Déferlante, Fracas ou Médiacités, les médias indépendants ne pèsent pas bien lourd face à des milliardaires mastodontes, qui achètent des titres de presse comme d’autres disent bonjour. Dans ces structures, les rédactions brandissent en étendard la liberté de ton, d’esprit, de pensée et d’information.
Mais souvent, les médias manquent de moyens financiers. Alors ils se lancent, laborieusement mais non sans courage, dans des appels aux dons. L’initiative chronophage et anxiogène donne de l’air… jusqu’à la prochaine apnée, lorsqu’il ne s’agit pas d’une noyade. Pourtant, les médias indépendants sont des piliers essentiels de la démocratie, et des remparts précieux contre les pensées uniformisées. C’est pourquoi quelques personnes à l’esprit vaillant se sont pleinement investies durant un an pour que la coopérative puisse voir le jour. Parmi eux, Lucie Anizon, directrice générale de Coop-médias, avec qui Natura Sciences a pu s’entretenir.
Natura Sciences : Comment s’est créée l’initiative Coop-médias ?
Lucie Anizon : Tout part du Collectif Transition Citoyenne (CTC). L’objectif de la trentaine de structures réunies dans cette organisation est de se demander comment faire en sorte que les citoyens se réapproprient divers domaines tels que l’alimentation ou le système bancaire. Nos expériences passées nous ont permis de monter des projets financés grâce à des levées de fonds citoyennes. De fil en aiguille, nous nous sommes demandé comment travailler sur cette transition citoyenne dans le milieu des médias. Aujourd’hui, nous mettons cette compétence au service des médias indépendants. L’objectif est de voir émerger de nouvelles initiatives dans le milieu.
Pourquoi ?
Aujourd’hui, il existe plein de médias indépendants qui sont super, mais qui galèrent et ont du mal à survivre. Ils font régulièrement face à des difficultés économiques ou juridiques énormes. C’est pourquoi tout au long de l’année qui s’est écoulée, nous avons rencontré plusieurs médias. Ensemble, nous avons pris la décision de monter une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Le but : réunir au sein d’une même structure des acteurs du monde des médias, mais également de l’économie sociale et solidaire et des citoyens et citoyennes. À son échelle, chacun œuvrera pour la grande cause de l’indépendance et du pluralisme des médias.
Est-ce que tout le monde peut adhérer à Coop-médias ? Quelles sont les conditions requises pour prendre part à la coopérative ?
L’adhésion à Coop-médias est un investissement sur la durée. Il ne s’agit pas d’un don. Toute personne désirant devenir sociétaire peut acheter une ou plusieurs parts [une part vaut 100€, NDLR]. L’investissement est défiscalisé à 50%. Les sommes investies ne sont pas bloquées. Un sociétaire peut placer son argent pour la durée qu’il souhaite. Les parts de Coop-médias ne permettent pas de faire fructifier un capital. Il n’y a pas d’intérêt comme pour d’autres types de placements. La coopérative ne répond pas à la logique capitaliste classique qui veut que plus un investisseur place de l’argent, plus il engrange d’intérêts.
Concrètement, à quoi va servir cet argent ?
Étant donné que la coopérative est à peine créée, on ne sait pas encore comment l’argent va être réparti. Mais l’idée, c’est qu’une bonne partie de cet argent soit alloué au financement de médias indépendants. Le conseil d’administration décidera quelle part de la somme levée sera reversée aux médias indépendants, et sous quelles modalités. Les médias devront probablement répondre à des appels à projet. Nous sommes en train de travailler avec des médias et des structures de l’ESS pour mettre en place toute la mécanique. Ensemble, nous rédigeons actuellement la thèse d’investissement, un document qui rassemble les règles de financement de Coop-médias.
Quelle différence entre Coop-médias et d’autres initiatives telles que le Fonds pour la presse libre (FPL) ?
À mes yeux, il y a deux différences essentielles. La première est qu’à la différence du FPL, nous ne sollicitons pas de dons. Dans le monde de la finance, il se dit qu’il existe plusieurs formes d’argent. Certaines personnes peuvent préférer investir plutôt que donner, ou inversement. Dans ce cas, ils peuvent choisir une initiative ou une autre, selon leur profil. La seconde réside dans notre structuration juridique. La coopérative a vocation à rassembler toutes les parties prenantes du secteur de l’information, pas uniquement des médias.
La vidéo qui accompagne le lancement de Coop-médias pointe la problématique influence d’une poignée de milliardaires sur l’écrasante majorité des médias de grande écoute[1]. Elle rappelle aussi que l’ONG Reporters Sans Frontières alerte contre « l’inquiétante concentration des médias dans de grands groupes privés, mais aussi de la dégradation de la qualité des contenus ». Est-ce à ce titre qu’il est plus que jamais important de soutenir les médias indépendants ?
Si nous voulons que les gens sachent ce qu’il se passent ailleurs, qu’ils aient accès à nos idées progressistes, humanistes, sociales, etc, qui sont portées par un certain nombre de médias, et qui permettront, si in fine plus de gens y ont accès, peut-être de renverser la table politiquement, alors il faut renforcer les médias indépendants.
En réalité, on se bat contre des médias uniformisés qui ne diffusent qu’une seule idéologie. Le problème est là. Quelle que soit la situation, s’il n’y avait qu’une seule idéologie portée par l’intégralité des médias, ce serait un problème. Que celle-ci soit d’extrême-droite ou d’ailleurs. L’idée est de dire que les médias doivent avoir la capacité de produire des informations pluralistes et de qualité. Or, aujourd’hui, l’écrasante majorité des médias diffusent une information qui va du capitalisme néo-libéral à l’extrême-droite. Très peu de médias dominants s’emparent de sujets écologistes, féministes et sociétaux de manière engagée.
Actuellement, combien de médias ont déjà rejoint Coop-médias ?
Difficile d’avoir un chiffre exact, tant les adhésions sont nombreuses. Le 9 octobre dernier, jour de l’annonce publique de la création de Coop-médias, 23 médias indépendants étaient déjà sociétaires. Depuis, entre dix et vingt nouveaux titres ont décidé de rejoindre l’aventure.
[1] D’après des chiffres de Libération repris par Coop-médias, 11% des milliardaires détiennent 81% des ventes quotidiennes de presse nationale, 95% des hebdomadaires généralistes et la moitié des audiences télévisées et radiophoniques.