Ces derniers jours, plusieurs centaines d’étudiants ont exprimé leur mécontentement face aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Ne souhaitant voir « ni Macron ni Le Pen » à la tête de l’État, les militants ont pris d’assaut plusieurs établissements d’enseignement supérieur parisiens. Le raz-le-bol de ces étudiants résulte de plusieurs angoisses. Parmi elles, la justice climatique inquiète particulièrement. Natura Sciences est allé à leur rencontre.
Au cœur du quartier latin à Paris, les passants s’interrogent. « Ils font quoi tous ces CRS ici ? » se demande l’un d’eux. Des véhicules de force de l’ordre stationnent en masse aux abords de la Sorbonne. Devant le bâtiment, une foule se rassemble pour manifester. Des étudiants de quelques universités parisiennes et des organisations politiques lèvent le regard vers les fenêtres du premier étage. Acclamés, d’autres étudiants, parfois cagoulés pour anonymat, interpellent leurs camarades. « La Sorbonne elle est à qui ? Elle est à nous ! ».
Depuis mercredi, des manifestations de plusieurs mouvements radicaux de gauche ont eu lieu devant plusieurs universités parisiennes. Celles-ci restent fermées jusqu’au week-end suite à l’organisation d’un blocus. Les militants ont occupé – illégalement – l’université de la Sorbonne ces derniers jours pour revendiquer leur désaccord sur les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Le 24 avril, le président sortant Emmanuel Macron affrontera de nouveau la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen. Les manifestants hurlent des slogans antifascistes. « Pas de facho dans nos quartiers, pas de quartier pour les fachos ! ». Les étudiants partagent leurs revendications sociales, dont celle de la justice climatique. « Le mot d’ordre, c’est non au fascisme, non au racisme. On veut une justice sociale et écologique », livre Joseph, étudiant en licence 2 de géographie.
Une assemblée générale prévue par les organisations étudiantes devait se tenir en début d’après-midi. Elle a finalement été interdite pour cause d’occupation illégale des locaux et de violences exercées sur la police. Pour protester, les étudiants penchés au fenêtres saisissent du mobilier, et le lancent sur les CRS, alignés quelques mètres en contrebas. La tension monte. Des militants commencent à courir pour éviter le gaz lacrymogène que lancent les forces de l’ordre.
Un programme écologique inadapté selon les manifestants
« Ni Macron ni Le Pen », « ni l’un ni l’autre« . Ce sont les messages inscrits sur les banderoles et les journaux de l’organisation Tendance marxiste internationale, distribués auprès des étudiants. L’un de ses membres, lui aussi nommé Joseph, ne croit pas à une volonté écologique de la part des deux candidats qualifiés pour le second tour. « On voit dans leurs programmes qu’ils n’en parlent pas », s’indigne-t-il. Ils ne sont pas capables de gérer cela. Ils pensent d’abord à leurs profits. De ce fait, ils n’ont justement pas intérêt à faire une transition vers une économie en accord avec l’environnement ».
Après l’intervention des CRS, la foule commence à se disperser. Les étudiants débordent sur le boulevard Saint-Michel et perturbent la circulation. Pendant ce temps, un autre groupe de CRS encerclent la place de la Sorbonne, où quelques étudiants réprouvent toujours les résultats électoraux. Entouré de ses camarades, l’étudiant en géographie explique son désaccord avec les idées écologiques des candidats. « Au niveau climatique, s’ils passent, c’est juste un cataclysme. »
Pour argumenter ses propos, le jeune homme s’appuie sur le programme écologique d’Emmanuel Macron et conteste ses idées. Pour Joseph, le président de la République « veut mettre le paquet sur les voitures électriques, mais il n’en a jamais regardé la composition, ni d’où viennent les constituants. D’ailleurs, les scientifiques ont démontré qu’une voiture électrique pollue autant, voire plus qu’une voiture thermique. Il faut prendre en compte la conception du véhicule et son transport d’un pays à un autre ». Joseph considère que cette mesure n’est rien d’autre que du « greenwashing ». Le jeune homme pense toutefois accorder son vote au président sortant pour faire barrage à la candidate du Rassemblement national.
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L’inquiétude face au rapport du Giec
Sur la thématique environnementale, les militants relèvent tous un point crucial : l’alarme du rapport du Giec. « Le texte dit qu’il faut trois ans pour améliorer le sort de la planète, mais pendant cinq ans il ne se passera rien », s’inquiète Nicolas, membre de l’organisation Tendance marxiste internationale. Une certitude exprimée par plusieurs de ses camarades, dont Ambre, en formation dans le milieu de l’éducation. « La France a été rappelée à l’ordre pour inaction climatique. Si on continue cinq ans dans cette voie, la situation va empirer ». Également membre du mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion (XR), l’étudiante sera présente à l' »Inévitable rébellion », prévue à partir du samedi 16 avril. L’événement, organisé par XR, prévoit un rassemblement pour « repenser la démocratie et exiger une justice écologique », selon un communiqué. Les militants occuperont un espace public parisien – encore inconnu – pendant quatre jours.
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Joseph va lui aussi participer à cet événement. L’étudiant, qui suit en parallèle un cursus en sciences de l’environnement, pense que le déploiement massif des éoliennes et des panneaux solaires recommandés par les scientifiques ne « suffira pas ». Selon lui, « on consomme beaucoup trop pour couvrir [les besoins en énergie de] nos modes de vie actuels avec des éoliennes et des panneaux solaires ». Son analyse le pousse à penser que la « vraie » solution réside dans la réduction des consommations d’énergie et la révision des modes de valeurs. « Il faut arrêter d’acheter des IPhone, des baskets fabriquées dans des conditions insalubres, arrêter de manger des fruits qui ne sont pas de saison, ne pas voyager à l’autre bout du monde en prenant l’avion. » Pour défendre ses convictions, l’étudiant ne compte pas abandonner les protestations. « On est là pour se faire entendre, sinon ils vont se foutre de notre gueule pendant cinq ans », conclut-il.
Des avis divergents devant Sciences Po Paris
Plus tard dans l’après-midi, du côté de Sciences Po Paris rue Saint Guillaume, l’ambiance est plus calme. Il ne reste que peu de traces d’un événement plus violent, survenu quelques minutes auparavant. Plusieurs dizaines de militants d’extrême droite ont « lancé des fumigènes en direction des manifestants, avant l’arrivée des CRS », rapporte un témoin. Plus tôt dans la matinée, une centaine d’étudiants manifestait devant l’institution. Il n’en restait qu’une vingtaine quelques heures plus tard. La direction a tout de même décidé que le reste des cours de la journée aurait lieu en distanciel.
À l’instar de leurs camarades de la place de la Sorbonne, les élèves de Sciences Po ont des choses à dire. « Il n’y a pas de capitalisme vert« , s’insurge Marius, étudiant à Sciences Po Paris. Il ajoute : « les mesures de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron ne valent rien écologiquement ». L’étudiant parle, lui aussi, de « greenwashing ». Pour exemple, il cite le refus des candidats de « taxer TotalEnergies ». Puis Marius développe son argumentaire en visant la candidate d’extrême droite. « Marine Le Pen a le même projet libéral, mais avec plus d’autoritarisme. » Le jeune homme souhaite que les candidats « reconnaissent l’ampleur de l’enjeu climatique » au lieu de « faire preuve d’une absence de volonté ». « Ils connaissent la situation mais ils refusent d’agir »‘, poursuit-il devant l’entrée de Sciences Po.
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À l’opposé, un petit groupe d’étudiants membres de l’Union nationale interuniversitaire (UNI), une organisation se réclamant de la « droite étudiante », conteste le blocage des universités. « Ils peuvent revendiquer leurs idéologies en dehors de la fac au lieu d’empêcher les autres d’étudier, s’agace Rémi, délégué national de l’organisation. En France, on est libre de manifester dans la rue ». Pacifiques, Rémi et les autres membres de l’UNI chantent la Marseillaise devant le bâtiment. Ils sont hués par leurs camarades entonnent des slogans antifascistes. Sur la question écologique, les membres de l’UNI se disent « pro nucléaires » et n’accordent pas la même priorité à l’urgence climatique. Pour eux, la transmission des savoirs et de l’héritage culturel et historique dans l’enseignement supérieur doivent passer en priorité.