Du 24 au 26 avril, le sommet ChangeNOW 2025 se tenait au Grand Palais à Paris. Depuis cinq ans, l’événement est devenu incontournable pour les entreprises et entrepreneurs voulant faire du business dans le « vert ». L’élection de Donald Trump aux États-Unis donne une couleur spéciale à ce sommet, puisque la France veut profiter du contexte géopolitique pour accueillir les investissements dans la transition.

« Une exposition universelle des solutions pour la planète. » Voilà comment Santiago Lefebvre, co-fondateur de ChangeNOW, présente l’événement. Depuis 2020, ce sommet se tient chaque année, et dit vouloir réunir les « héros du changement » de notre époque au nom de l’écologie. Du 24 au 26 avril, les organisateurs attendaient 40 000 personnes au Grand palais à Paris pour cette édition 2025. « C’est un événement purement centré sur l’action concrète et la façon de réaliser concrètement la transition », défend Santiago Lefebvre.
Pour essayer d’acter la transition, l’événement – en anglais – regroupe des acteurs issus de 140 pays, avec son langage bien particulier. Ici, on n’est pas un entrepreneur, mais un « changemaker » (faiseur de changement) ou un « CEO à impact”. On “network” (réseaute) grâce à une application dédiée de l’événement. Et pour entrer en contact avec quelqu’un, il faut scanner le QR code que tout le monde a autour du cou, pour ensuite pouvoir envoyer un message via l’application et organiser une rencontre “BtoB” (Business to business), dans des lieux réservés, ou même sur un mur d’escalade.
Des startups, ONG et multinationales
Parmi les exposants, on trouve de nombreuses startups et ONG, mais aussi de grandes entreprises. BNP Paribas, banque qui en 2023, malgré une baisse significative, investissait encore pour 4 milliards de dollars dans des projets d’extraction de combustibles fossiles, tient son stand. Ou encore Vinci, deuxième groupe BTP du monde, qui se construit une image d’entreprise exemplaire dans la conception de ses autoroutes et le respect des normes environnementales. « L’aéroport Lyon Saint-Exupéry, dont nous sommes gestionnaires, sera le premier à fonctionner dès 2026 sans émission nette de carbone », vante un exposant. Et qu’en est-il des avions ? « Ce n’est pas nous qui les faisons voler, et tout ce qu’on fait, c’est qu’on répond à des appels d’offres. Ce n’est pas notre faute si on nous demande de construire des aéroports. »
Cette proximité avec des multinationales attire les foudres de certains opposants et notamment du mouvement révolutionnaire Anti-Tech Résistance qui dénonce un « sommet du greenwashing ». « À ceux qui disent que ChangeNOW est le sommet du greenwashing, j’ai envie de dire qu’il y a ceux qui font la transition et ceux qui en parlent, partage Santiago Lefebvre à la revue L’Iceberg. C’est un événement de ceux qui la font à tous les niveaux : de l’ONG, de l’activisme, du scientifique, de l’artiste, des entrepreneurs, des entreprises, des politiques qui s’engagent ».
Que l’argent coule à flot pour le business
Le sommet ChangeNOW, soutenu par Emmanuel Macron, est devenu en cinq ans la vitrine de l’écologie « pragmatique » que souhaite mettre en avant le gouvernement. Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, vient présenter la France comme une refuge pour les investissements « verts » face à la volonté du nouveau président américain Donald Trump de mettre à bas toute considération écologique. On soigne particulièrement les milliardaires philanthropes et les multinationales. L’idéologie de l’événement est claire : « Le problème n’est pas le système économique. C’est le signal qui est donné aux entreprises », soutient Kevin Tayebaly, co-fondateur de ChangeNOW.
Dans une tribune publiée sur le site BonPote, Édouard Morena, maître de conférences en science politique à la University of London Institute à Paris, et auteur de Fin du monde et petits fours, décrit ce type d’événement comme un « rouage essentiel du régime incantatoire post-COP21″. C’est-à-dire un simulacre qui sert à faire croire que les États et les entreprises sont sur le bon chemin pour respecter l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré comme le prévoit l’accord de Paris, alors que les émissions de gaz à effet de serre ne font qu’augmenter ces dernières années dans le monde. « À travers ChangeNOW et les autres grands-messes climatiques, ce qui compte, au fond, ce n’est pas tant l’action que le sentiment d’action. La parole est aussi – voir plus – importante que les actes« , estime le chercheur.
Santiago Lefebvre ne partage pas cet avis. « Certaines personnes peuvent avoir la perception que ChangeNOW est associé à la croissance verte, mais certains politiques voient l’événement comme un lieu de la décroissance. Notre question est de savoir comment on continue de vivre sur une planète finie, à l’intérieur des limites planétaires. » Avant de préciser : « En étant sur place à la COP21 en 2015, j’ai vu qu’il y avait une grande absence des entrepreneurs, des acteurs privés. Et je me suis dit que l’on y arrivera jamais si en plus des citoyens et du politique, on n’arrive pas à mobiliser les acteurs du privé et de l’entreprise et les entrepreneurs. » Sa conviction est claire : face à des intérêts privés et réactionnaires très bien organisés et qui usent de la division comme arme de destruction massive, les différentes couleurs du mouvement écologiste doivent se rassembler.
Attention à ne pas se déresponsabiliser
La déresponsabilisation vis-à-vis de son impact environnemental devient néanmoins un business à part entière, grâce à une panoplie de solutions proposées par des startups. Vous faites régulièrement des voyages d’affaires ? Au lieu de les remplacer par des visios, pourquoi ne pas mesurer combien vous économisez de CO2 en ne prenant pas l’avion ? Et en guise de récompense, vous pourrez offrir des bons d’achat pour… consommer plus ? Vos employés mangent trop de viande ? Utilisez une toute nouvelle IA pour gérer leur alimentation. Au passage, vous pourrez quand même acclamer Paul Watson, lors de son passage sur la scène centrale.
Enfin, si les émissions de gaz à effet de serre de votre entreprise vous chagrinent, vous pouvez payer des crédits carbones pour planter des arbres dans des pays lointains. De nombreuses enquêtes ont remis en question la fiabilité de cette solution, mais elle est toujours soutenue par le gouvernement français. Agnès Pannier-Runacher a d’ailleurs profité du sommet pour soutenir le projet de création d’un marché de crédits biodiversité sur le même modèle que les crédits carbones. (Lire notre article sur le sujet).