Une nouvelle étude publiée dans la revue Biological Conservation démontre que le trafic d’espèces sauvages et de leurs produits dérivés constitue l’un des commerces illicites les plus rentables et les plus attractifs au monde, juste derrière le trafic d’armes et le trafic de stupéfiants.
« Les organisations criminelles ont régulièrement recours au trafic d’espèces sauvages pour financer leurs activités », affirme Kelvin Alie du Fonds international pour la protection des animaux, (IFAW), co-auteur de l’étude. « La corruption se propage comme une trainée de poudre et affecte les militaires, les gardes-frontières, la police, le système judiciaire, les services de douane, le personnel des ambassades et même les diplomates de nombreux pays. Tous profitent du commerce illicite d’espèces sauvages et aident activement les trafiquants. » poursuit-il.
Plusieurs groupes de rebelles armés et organisations terroristes tristement célèbres, comme les Janjawids du Darfour et l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) dirigée par Joseph Kony, engrangent des bénéfices considérables grâce au trafic d’espèces sauvages. Cela contribue à financer les raids, les guerres civiles et tous les autres actes de violence dans lesquels ils sont impliqués.
Pourquoi ce trafic est-il particulièrement rentable ?
L’auteur principal de l’article, le Dr Leo Douglas du Centre pluridisciplinaire pour la biodiversité et la conservation du Muséum américain d’histoire naturelle, explique : « Si ce trafic fait autant d’émules, c’est principalement parce qu’il ne fait pas l’objet d’une véritable stigmatisation sociale, que les risques d’arrestation sont minces et que les quelques criminels traînés en justice n’encourent malheureusement que des peines bien dérisoires. » Le Dr. Douglas justifie le fait que les espèces sauvages de valeur sont particulièrement convoitées par les groupes criminels d’une façon simple : comparés à l’extraction d’autres ressources de valeur telles que le pétrole, le gaz et la plupart des métaux précieux, les massacres d’animaux sauvages et les activités de contrebande peuvent être perpétrés rapidement et à moindre coût.
« Pour les criminels, les produits dérivés d’espèces sauvages sont une ressource dite « vulnérable« , c’est-à-dire un sous-ensemble de ressources naturelles relativement faciles à voler, mais particulièrement difficiles à surveiller pour la police criminelle », poursuit-il. Les diamants alluviaux et les pierres précieuses telles que les rubis entrent également dans cette catégorie.
Les auteurs de l’article rappellent que le trafic d’espèces sauvages engendre d’énormes bénéfices, estimés à quelques 20 milliards de dollars par an. En outre, les criminologues ont découvert que les animaux sauvages servaient désormais également de « monnaie » pour les organisations terroristes et criminelles. Aujourd’hui, les produits dérivés de la faune sauvage se trouvent au cœur du trafic de drogue, du trafic d’armes et de la traite humaine, et sont échangés comme de l’argent : le trafic de faune sauvage est devenu une forme efficace de blanchiment d’argent. Les réseaux criminels et les organisations terroristes les plus élaborés œuvrant aux frontières de plusieurs pays pratiquent fréquemment ce type d’échanges.
Du braconnage à l’éco-tourisme illégal
D’après l’étude, la nature lucrative du trafic d’espèces sauvages engendre la corruption à haut niveau ainsi que les massacres sanguinaires d’espèces sauvages aussi emblématiques que les lions, les tigres, les éléphants, les gorilles et les rhinocéros. Pire, une nouvelle menace s’est développée en parallèle puisque les groupes de rebelles, les insurgés et les organisations terroristes s’intéressent aujourd’hui de très près aux bénéfices engrangés par les entreprises du secteur de l’écotourisme.
Conscients de la rentabilité du tourisme lié aux gorilles, des rebelles congolais ont ainsi assassiné des garde-forestiers et détourné des services de tourisme durable. De même, au Népal, les rebelles maoïstes ont envahi des zones protégées afin d’y proposer des activités d’éco-tourisme illégales et de mettre sur pied des entreprises de chasse au trophée pour attirer les touristes les plus fortunés.
L’écotourisme est pourtant une composante essentielle dans le développement des produits touristiques et de l’économie de pays tels que le Botswana, le Kenya, l’Afrique du Sud et la Tanzanie. « La soif d’argent pousse les criminels à redoubler d’efforts dans cette chasse aux espèces sauvages et aux sites d’écotourisme. La lutte contre la criminalité faunique peut et doit absolument devenir une priorité, non seulement au nom des animaux et de la conservation, mais également pour la sécurité nationale et l’équilibre économique à long terme », continue M. Alie.
Pour le Dr Douglas, les acteurs de la conservation doivent désormais recadrer leur expertise sur les espèces sauvages menacées dans une perspective intégrant les relations internationales, les questions de sécurité et les considérations politiques intrinsèquement liées au trafic de faune sauvage.