Guerre de l’eau dans les Deux Sèvres (79). 16 gigantesques réserves hydrauliques, permettant de stocker l’équivalent de 1.546 piscines olympiques doivent voir le jour d’ici 2025. Certaines associations pensent que le projet porte préjudice au cycle de l’eau et à la biodiversité. Il accentuerait en plus l’accaparement des terres au service de l’agriculture intensive. Le maire de la ville où les travaux ont commencé, la Coop de l’eau 79 et et l’Agence de l’eau Loire-Bretagne défendent l’initiative.
Début septembre, des pelleteuses ont fait leur entrée dans la commune de Mauzé-sur-le-Mignon. Cette commune département des Deux-Sèvres, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Niort, connait une guerre de l’eau moderne. La première tranche des travaux, qui comprend 6 réserves sur les 16 à démarré. Il permettra de stocker environ 1,7 millions de m3 d’eau sur les 5,8 du projet. Concrètement, ces réserves d’eau sont de grandes cuves à ciel ouvert, remplies d’eau pompée depuis les nappes phréatiques.
Jusqu’à 16 « méga-bassines » d’ici 2025
Baptisées « méga-bassines » par ses détracteurs, elles permettraient, d’ici 2025, de stocker près de 5,8 millions de mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de 1.546 piscines olympiques. Un projet auquel certaines associations s’opposent fermement. Le collectif Bassines Non Merci, rejoint par les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne, Extinction Rébellion et Youth for Climate se sont donc donné retrouvé le mercredi 22 septembre à Niort et dans le Marais poitevin. Entre 600 et 1.000 membres se sont rendus sur le chantier pour afficher leur contestation.
Un lourd chantier porté par la Coop de l’eau 79, financé par le gouvernement et l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Face à la raréfaction de cet or bleu en été, l’objectif consiste à utiliser l’eau préalablement stockée dans les bassines « en lieu et place de volumes prélevés en période estivale. Une période au cours de laquelle la ressource est la plus sensible et fragile« , explique Olivier Raynard, directeur de la Délégation Poitou-Limousin de l’agence de l’eau Loire-Bretagne.
La part belle à l’agriculture intensive?
Pour les associations, l’initiative n’est pas la bonne car elle encouragerait le modèle d’agriculture intensive. « Ces bassins ne vont pas irriguer des cultures légumières, potagères ou à forte valeur ajoutée, explique Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne. Elles sont implantées près des grosses exploitations. Du coup, elles vont surtout permettre d’irriguer de vastes étendues céréalières ou de maïs. Avec ces bassins, on va leur donner un accès privilégié à l’eau, et leur système d’agriculture intensive sera conforté« . D’après lui, cette facilité de production « ne sera pas la même pour ceux qui n’auront pas accès aux bassins« .
De son côté, Philippe Mauffrey, maire de Mauzé-sur-Mignon, là où les travaux ont débuté, n’y voit pas d’inconvénient. « Le maïs permet de nourrir le bétail, et on est dans des terres d’élevage, de produits laitiers et de fromages, il ne faut pas l’oublier« . De son point de vue, si on ne donne pas l’eau aux exploitations, « c’est là qu’elles vont mourir et si elles meurent, qui rachètera les terres? De grands trusts. Stocker de l’eau quand elle est en excès, pour moi ça a du sens. Je ne comprends même pas qu’on puisse s’opposer au projet« .
Une ressource capitale à protéger
L’eau est une ressource capitale pour les agriculteurs. Pour les associations, c’est au contraire en implantant ces réserves d’eau que le prix du foncier grimpera. Seuls les grands groupes pourront alors s’offrir le luxe de les racheter. « Forcément, si le tuyau d’eau est au bout du champ, sa valeur va augmenter, et cela devient inaccessible pour les petits exploitants« , souligne Julien Le Guet, l’un des porte-parole de Bassines non merci. Un risque qui, selon eux, compliquerait grandement les passations d’exploitations d’une génération à l’autre. Cela compliquerait aussi l’entrée de plus petits exploitants dans le secteur.
Il s’agit là d’un problème que reconnaît et explique Philippe Jougla. Le président de la Fédération Régionale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FRSEA), filière de la FNSEA explique. « Ça voudrait dire que l’alternative à ça serait de garder des petits exploitants pauvres, et vous pensez que ce sont eux qui vont renouveler les générations? Grande parcelle veut dire facilité de travail. La valorisation des terres, et la rentabilité augmente, donc certes le prix du foncier risque d’augmenter aussi”.
Qui dit grandes surfaces à cultiver, à irriguer, dit bien souvent pesticides. Un point également soulevé par les différentes associations mobilisées. « Imaginez que toute cette eau contenue dans les bassins va irriguer de grandes parcelles cultivées à force de pesticides. Imaginez la qualité de l’eau ensuite« , dénonce le porte parole de Bassines Non Merci. Le directeur de la Délégation Poitou-Limousin de l’agence de l’eau Loire-Bretagne défend le projet en expliquant qu’il « ne comporte pas que la construction des réserves, mais aussi des diagnostics et accompagnements pour changer de pratiques, des rotations agricoles plus longues, le maintien d’élevages, et la remise en place de haies sur le territoire dans une démarche de restauration de la biodiversité« .
Des promesses qui ne convainquent pas
Ces promesses ne suffisent pas aux associations mobilisées. « On est en train de complètement dérégler le cycle de l’eau, déplore Nicolas Girot. On va détraquer ça en pompant d’énormes volumes. Ça va participer à accélérer encore un peu les risques de dégradation de la biodiversité en zones humides. En plus, ce qui est gravissime c’est qu’on ne se pose absolument pas la question de comment mieux recharger les nappes phréatiques en ayant une agriculture plus économe, avec des sols qui seraient plus perméables et qui permettraient une meilleure infiltration de l’eau« , souligne le porte-parole de la confédération paysanne. « On ne raisonne pas l’agriculture en fonction de la ressource. On crée l’illusion qu’on peut continuer à irriguer massivement et à pomper massivement« .
Les associations affirment également que le projet de « méga-bassine » est dans le viseur des instances européennes. « La commission a émis des réserves. Avec la multiplication de ces bassins, la France va continuer à répondre de manière insatisfaisante à au moins trois directives: la directive cadre sur l’eau, la directive oiseaux, et la directive nitrate« .
De son côté, l’administrateur de la coopérative de l’eau des Deux Sèvres, la Coop porteuse du projet, affirme tout de même que « des études d’impacts ont été réalisées avant le début des chantiers« . Mais selon le porte-parole de Bassine Non merci, « les retours d’expériences d’autres méga-bassines qui ont pu être construites ailleurs en France sont catastrophiques. On a pu constater que des nappes phréatiques ou les rivières pouvaient être épuisées en hiver puisqu’elles sont toujours pompées, même s’ il n’y a pas de crues. Et en été, le problème est toujours le même, les rivières sont toujours à sec. En plus, au vu de ces précédentes expériences on sait que les frais d’entretien coûtent un pognon de dingue« , dénonce-t-il.
Privatisation de l’accès à l’eau?
Les associations dénoncent également la « privatisation » de l’accès à l’eau. La raison? « Les agriculteurs qui souhaitent utiliser l’eau de ces bassins doivent payer une cotisation à la Coop« , précise l’administrateur de la coopérative de l’eau des Deux Sèvres. Les agriculteurs de la région avaient pour habitude de pomper de l’eau gratuitement. Et ce, dans les nappes phréatiques ou rivières les plus proches de leur exploitation.
Le projet est financé à 70% par l’agence de l’eau et le gouvernement. Mais la Coop porte techniquement le projet et sera à terme propriétaire des bassins. Il s’agit d’une « société privée, alors que le projet a été financé par de l’argent public », détaille le porte parole de Bassines non merci. « Via les impôts des citoyens, on oriente le projet dans un sens ou dans l’autre, et là on les oriente dans le sens d’une privatisation de l’eau au service d’une minorité et au service d’une agriculture intensive« .
Nicolas Girot, porte-parole de la confédération paysanne déplore que, « en résumé, on ne change pas ce modèle qui nous mène à ces désastres climatiques et environnementaux. On essaie de s’adapter à ces nouvelles contraintes climatiques, mais s’adapter, c’est nier le fait qu’elles vont encore s’accélérer. A un moment ce ne sera plus possible« .
Les associations espèrent désormais voir le projet s’arrêter. Elles redoutent une généralisation de ces « méga-bassines » dans le reste de la France. « Le développement du projet ici, mais partout en France, est une politique décidée par le gouvernement Macron et le ministre de l’agriculture. Preuve en est, depuis les premiers coups de pelle dans le Marais, il y a déjà trois nouveaux projets qui sont apparus en Haute-Vienne et dans le Berry » affirme le porte parole de Bassines non merci. Pour lui, « il y en a qui pensent que face à un dérèglement climatique, il y aura toujours une solution technologique. Il y en a d’autres qui pensent qu’il faut se baser sur les solutions que la nature offre« .
Ouns Hamdi