Selon une étude de l’Ifremer parue dans le magazine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), les micro-plastiques impactent la reproduction des huîtres du Pacifique. Arnaud Huvet, biologiste au Centre Ifremer Bretagne à Brest, encadrant de l’étude, nous explique ces résultats inquiétants.
L’impact des micro-plastiques (plastiques de moins de 5 millimètres de diamètre) sur la vie marine est une cause de préoccupation croissante. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs du centre Ifremer de Brest et de l’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) ont choisi de travailler sur l’huître du Pacifique en raison de sa répartition mondiale, son rôle important dans les habitats côtiers et estuariens et son importance économique en aquaculture. Les huîtres ont été exposées à des micro-particules de polystyrène d’un diamètre de 2 et 6 micromètres (µm) pendant 2 mois à une concentration de 23 microgrammes par litre d’eau. « Ce sont les particules qui sont à peu près de la même taille que les cellules algales consommées par les huîtres », explique Arnaud Huvet, biologiste au Centre Ifremer Bretagne à Brest.
Après deux mois d’exposition à cette pollution, les huîtres produisaient moins d’ovules et ceux-ci étaient de plus petite taille ; leurs spermatozoïdes étaient nettement moins mobiles. Concrètement, « après deux mois, les huîtres exposées montraient une diminution significative du nombre d’ovocytes (-38 %), de leur diamètre (-5 %), et de la vitesse des spermatozoïdes (-23 %) », expliquent les chercheurs. Par ailleurs, le taux de fécondation des huîtres exposées était inférieur de 41 % aux huîtres témoins et les larves produites accusaient un retard de croissance de 18 %.
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Les micro-plastiques impactent les huîtres
Deux hypothèses principales sont avancées pour expliquer les effets des micro-plastiques sur les huîtres. « Il peut y avoir un vrai effet physique de la particule qui perturbe la digestion et modifie l’énergie allouée aux grandes fonctions physiologiques, que cela soit la défense, la croissance et comme ici, la reproduction. Mais vu les effets importants observés, il y a de forts risques qu’il y ait également des effets de type perturbateurs endocriniens de ces plastiques. Dans ce cas, ce ne serait pas la particule elle-même qui serait en cause, mais les additifs, les résidus de monomères de styrène ou les polluants organiques persistants qui pourraient désorber au cours du transit digestif », éclaire Arnaud Huvet.
« Les huîtres peuvent filtrer plusieurs litres d’eau par heure, rappelle Arnaud Huvet. Ainsi, elles ont ingéré en moyenne 10 mg de micro-plastiques par jour durant notre étude ». Au cours des deux mois d’exposition, « les micro-plastiques n’ont pas migré à travers la barrière digestive, vers le système circulatoire ou d’autres tissus », clarifie le chercheur. « Les micro-plastiques se retrouvent dans les fécès, mais nous n’avons utilisé que des sphères de plastique lisses. On ne sait pas encore ce qui se passe quand les particules sont de tailles et de formes différentes, ou rugueuses. Cela pourrait amener des lésions au niveau de la barrière digestive et faire des lésions ou obstructions, comme on le voit sur les oiseaux marins. » insiste-t-il. De futurs travaux chercheront à répondre à ces interrogations.
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La concentration testée est-elle représentative de la pollution environnementale ?
Dans la littérature scientifique, les micro-fragments de plastique sont généralement récupérés en traînant un filet Manta à la surface des océans pendant 20 minutes à 3 noeuds. Ces filets ne permettent de capturer que les fragments de plus de 333 µm. « On n’a aucune donnée quantitative dans le milieu sur de si petites tailles [2 et 6 µm] à cause de verrous technologiques encore assez importants », nuance Arnaud Huvet. Si les plus petites micro-particules peuvent être détectées, il demeure encore très difficile de les quantifier en mer. Les chercheurs ont donc pris le parti de travailler à masse constante (23 µg/L), en retenant la masse trouvée dans des filets Manta de différentes études. La masse est constante, mais le nombre de particules explose vu leur petite taille. « En nombre de particules, on est 100 à 1 000 fois plus élevé », relève le chercheur.
La pollution par les micro-plastiques dans les océans a récemment été estimée à 5 250 milliards de micro-particules, soit 268 940 tonnes de plastique. Les micro-plastiques proviennent de morceaux de plastiques déversés dans les océans (sacs, bouteilles, mégots, emballages) qui sont fragmentés sous l’effet mécanique des courants et vagues et l’action chimique des UV. Les micro-plastiques sont également directement issus de rejets industriels du secteur cosmétique (exfoliants, dentifrices) et vestimentaire (fibres synthétiques). Chaque année, entre 4 et 12 millions de tonnes de plastique supplémentaires entreraient dans les océans. D’ici 2025, la quantité de déchets plastiques entrant dans le milieu marin pourrait être multipliée par dix si la gestion des déchets n’est pas améliorée. Les principales zones concernées sont les estuaires et les eaux côtières où les huîtres vivent.« Notre étude contribue également à lancer une alerte précoce et fournit aux parties prenantes les données nécessaires pour limiter l’impact des micro-plastiques dans les décennies à venir », préviennent les auteurs.
En réponse aux objectifs des industriels présentés à l’occasion du colloque Polytalk 2016, Arnaud Huvet signale que « s’attaquer aux macro-déchets est une bonne chose », mais qu’il ne faut pas sous-estimer la problématique des micro-fragments. « De plus en plus d’études toxicologiques montrent qu’il peut y avoir des effets très forts des micro-plastiques. Si l’on ne fait rien, d’ici quelques décennies, on mesurera dans les océans les doses que l’on teste actuellement en laboratoire », souligne-t-il. Les effets sur la faune aquatique seront loin d’être anecdotiques.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com