Des millions d’autochtones du bassin amazonien mènent une bataille contre le temps pour sauver l’immense forêt tropicale et empêcher une « apocalypse » mondiale. « Trop, c’est trop ! » lance leur leader, le Vénézuélien Gregorio Mirabal. Entretien.
Dans un entretien exclusif à l’AFP, dans le village de la jungle équatorienne d’Union Base (centre), à cinq heures de route de Quito, le chef de l’Organe de coordination des organisations autochtones du bassin de l’Amazone (Coica) appelle les pays développés présents à la COP26, la prochaine conférence sur le climat à Glasgow (Ecosse), à collaborer avec les peuples autochtones pour sauvegarder les 8,4 millions de km2 de l’Amazonie.
Il y a deux scénarios. (L’un est l’) apocalypse, sans retour. Les gens vont manquer d’oxygène, la planète va se réchauffer dans cinquante ans, de deux ou même trois degrés. La vie sur cette planète ne sera pas possible si l’Amazonie disparaît. L’autre scénario (est) que nos enfants puissent se baigner dans cette rivière, apprendre à connaître ce qui existe ici, voir les arbres, la biodiversité, voir cet ara voler. C’est le scénario que nous proposons au monde s’il nous aide à protéger 80% de l’Amazonie.
Les dommages sont-ils réversibles ?
La déforestation de l’Amazonie a atteint 17% (de sa surface totale). Si cela atteint 20%, il sera très difficile de revenir en arrière. La même désertification, le même manque d’eau, les mêmes incendies vont dévaster l’Amazonie. Nous sommes à un tournant. L’Amazonie est assassinée, on s’empare de son pétrole, de ses ressources naturelles, et on ne veut pas laisser la forêt en vie, on veut la raser. C’est un cri de la forêt, nous disons que ça suffit !
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Pourquoi est-il important de la protéger ?
C’est l’une des plus grandes réserves d’eau douce de la planète. Elle possède la plus grande biodiversité du monde, ce qui garantit l’équilibre du climat. Chaque arbre génère de l’air pur et ramasse les déchets qui proviennent d’autres pays, de la pollution, mais pour cela nous ne recevons rien. Qu’ils (les dirigeants mondiaux) ne dépensent pas pour un missile mais en Amazonie, cela nous va. Mais ce financement doit être global, réparti équitablement entre les neuf pays. Or il n’y a pas de financement clair aujourd’hui dans ce sens. On ne sait pas combien d’argent a été investi en Amazonie, s’il arrive jusqu’ici et où. Le vaccin (contre la Covid-19) n’est toujours pas arrivé dans les communautés et cela fait déjà deux ans que la pandémie a éclaté. Si nous dépendions des gouvernements, nous serions déjà morts.
Quels sont les plus grands dangers auxquels vous êtes confrontés ?
Le pire danger est le manque de volonté politique de nos gouvernements, qui va de pair avec la corruption, la non-application de nos droits. Les pays développés doivent considérer l’Amazonie comme un territoire qui les fait vivre eux aussi. Nous voulons protéger l’Amazonie pour protéger l’humanité.
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Qui sont les plus grands ennemis de l’Amazonie ?
Les grandes banques de la planète financent la destruction de l’Amazonie en fournissant les ressources pour l’exploitation pétrolière et d’autres formes d’activités prédatrices. Cela dépend aussi de notre conscience pour arrêter de consommer autant de plastique, autant d’énergie. Nous ne nous rendons pas compte que l’être humain est devenu le pire ennemi de la nature et de la vie elle-même. Le Brésil représente près de 60% de l’ensemble du bassin amazonien. Avec ce président (d’extrême droite) Jair Bolsonaro, la déforestation, les mines illégales et les meurtres de nos frères et soeurs ont augmenté. C’est le pire gouvernement que nous ayons dans le bassin amazonien.
Où y a-t-il le plus de risques pour les écologistes ?
Le Brésil et la Colombie sont parmi les endroits les plus dangereux au monde si vous êtes un défenseur de la nature ou un dirigeant indigène. Vous avez 80% de chance d’y être tué ou emprisonné. Puis vient le Pérou. Cela parce que les militants s’opposent aux entreprises pétrolières, minières ou forestières. En 2020, nous atteindrons 202 meurtres en Amazonie. Le chiffre pour 2019, qui était de 135, a été dépassé.
Propos recueillis par Santiago Piedra Silva, AFP avec Natura Sciences