La rapporteure publique a reconnu la « carence fautive » de l’État et l’existence d’un « préjudice écologique ». Pour les ONG à l’origine de L’Affaire du siècle, cette reconnaissance est une première victoire. Elles parlent même d’une « avancée historique » pour la justice climatique.
C’est une audience sans précédent qui s’est tenue au tribunal administratif de Paris le 14 janvier 2021. Durant deux heures, Amélie Fort-Besnard, la rapporteure publique, a rendu ses conclusions suite à la plainte contre l’État pour inaction climatique déposée par Greenpeace France, Oxfam France, la Fondation Nicolas Hulot et Notre Affaire à Tous. Rapidement, elle a reconnu la « carence fautive » de l’État. De plus, elle reconnaît l’existence d’un « préjudice écologique ».
Ces deux points sont les ancrages centraux de L’Affaire du Siècle, la plainte déposée contre l’État pour inaction climatique. Ainsi, à l’issue de cette première audience, les représentants des ONG requérantes affichent des mines ravies. « On a entendu la rapporteure publique constater qu’il y avait une faute de l’État qui ne respecte pas une trajectoire suffisamment ambitieuse pour lutter contre le dérèglement climatique. En ce sens sa responsabilité est engagée. C’est complètement nouveau dans une juridiction comme celle-là », se réjouit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.
1 euro symbolique pour le préjudice moral
Désormais, l’affaire est mise en délibéré. Dans deux semaines, le tribunal rendra sa décision. C’est à ce moment-là que les associations requérantes et l’État sauront si l’État est condamné ou non. Pour l’instant, les ONG ne dissimulent pas leurs espoirs. « Si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique, la responsabilité de l’État français dans le dérèglement climatique serait reconnue du fait de l’insuffisance de ses actions. Ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat », affirment-elles de concert.
Si les associations requérantes obtiennent gain de cause, l’État leur verserait 1 euro symbolique au titre du préjudice moral causé. La rapporteure publique a interrogé la légitimité de ces ONG à faire une telle demande. Amélie Fort-Besnard a ainsi reconnu la légitimité de la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France. Cependant, elle a estimé que la demande de Notre Affaire à Tous était irrecevable. Elle considère que le seul fait d’être à l’origine de cette plainte ne suffit pas pour demander une réparation. Cette conclusion est également motivée par le fait que l’association n’avait pas cinq ans au moment du dépôt de plainte.
Emmanuel Daoud, avocat de Notre Affaire à Tous, a du mal à comprendre cette décision. « On fait le reproche à une association d’être trop jeune alors même que Notre Affaire à Tous a mené depuis 5 ans un combat de tous les instants », déplore-t-il. Selon lui, la rapporteure publique n’a pas lu attentivement le rapport d’activité 2019 de l’association. Il apparaît dans ce document que l’association a effectivement réalisé plusieurs actions motivées par la situation climatique. C’est pourquoi l’avocat espère que la décision du juge ira à l’encontre de celle de la rapporteure publique. Emmanuel Daoud affirme être « extrêmement optimiste ».
2.311.000 signataires derrière L’Affaire du siècle
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, souhaite également que Notre Affaire à Tous reste dans la plainte. « On a porté ce recours nous quatre, on travaille toujours ensemble », rappelle-t-elle. Puis elle en profite pour rappeler l’ampleur de la mobilisation citoyenne derrière L’Affaire du siècle. Elle déclare que les ONG « font partie de cette aventure au même titre que 2.311.000 personnes ». « Les gens qui ont signé la pétition de L’Affaire du siècle, c’est environ un adulte sur 20 de ce pays », salue-t-elle.
Une satisfaction dont s’empare aussi Cécilia Rinaudo, directrice générale de Notre Affaire à Tous. Pour elle, une réponse favorable du tribunal constituerait un signal fort envoyé à la charge mentale écologique des Français. « C’est important de reconnaître que l’État est vraiment responsable, et d’enlever la part de responsabilité des Français. C’est une position forte qu’a prise la rapporteure aujourd’hui », félicite-t-elle. Puis elle rappelle que « l’État a un rôle de régulateur et d’investisseur ».
Cependant, l’État pourra faire appel d’une décision qui ne le satisferait pas. Dans ce cas, le combat de ces associations pour la justice climatique durera probablement plusieurs années de plus reconnaît Clément Capdebos, avocat de Greenpeace France.
Chaymaa Deb