Les années 1970 marquent l’avènement de l’agriculture industrielle. L grandes monocultures gavées d’intrants chimiques se développent. Malgré les gains de productivité, les 13 millions d’hectares ne suffisent plus pour répondre aux besoins de l’exportation. Et pour cause : les quantités de blé tendre français vendues à l’étranger passent de 4 millions de tonnes en 1970 à 18 millions en 1982. La France exportant ses productions, il a été décidé, en toute logique, d’importer de quoi nourrir les Français.
Cette perte d’autonomie alimentaire trouve aussi son origine dans la spécialisation des cultures. La France est le premier producteur mondial de betterave à sucre. Que faire de toute cette betterave, si ce n’est l’exporter ? Ainsi, pour un certain nombre d’aliments indispensables, la France compte principalement sur l’importation.
Des denrées alimentaires, marchandées comme les autres!
La marchandisation des denrées concourt pour une bonne part à ce phénomène. Ces produits alimentaires constituent aujourd’hui une force économique au même titre que des biens de consommation. Sans arrêter l’exportation agricole, du vin notamment, il serait judicieux de recentrer les productions sur les besoins directs de la population et non pas sur les exigences de l’industrie agro-alimentaire ou de l’exportation. Cultiver en France tout ce qui peut l’être permettrait une quasi autonomie et allégerait le bilan carbone. Relocaliser et diversifier l’agriculture serait de même plus sain pour les autres pays exportateurs spécialisés. Le Brésil ne cultive plus que du soja, l’Indonésie de l’huile de palme et les plaines des Etats Unis sont couvertes de maïs.
Ce sont les prix et non plus les besoins alimentaires qui dictent les échanges. Ainsi, la Grande Bretagne peut exporter des pommes de terre vers les Pays-Bas et importer, de ce même pays… des pommes de terre. L’absence de liens entre le nombre d’individus et la capacité de production agricole « réelle », ainsi que la quête de bénéfices au mépris de l’environnement, ont créé une agriculture destructrice de biodiversité. Cela a également permis à la population de grossir sans tenir compte des capacités réelles du milieu à subvenir aux besoins. Le développement de l’industrie de la viande suit malheureusement cette tendance. Si les animaux sont en majorité élevés et tués en France, leur nourriture est en partie constituée de soja (OGM) en provenance du Brésil et leur viande vendue au Royaume-Uni. Selon le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), la France importe chaque années 4,5 millions de tonnes de soja du Brésil, soit 22% de la production de ce pays, au prix d’une déforestation massive. Cette production nécessite plus de 400m² de surface agricole par habitant. Infaisable en France.
Un marché agricole mondial
Sans mondialisation agricole la France n’aurait pu se permettre de produire autant de viande et d’exporter autant de betterave. Les équilibres écologiques et économiques auraient été mieux préservés.
Aujourd’hui, les champs disparaissent en France. Pourtant, avec la généralisation nécessaire du bio, les surfaces agricoles seraient bien utiles pour palier une possible baisse de rendement. La FAO a montré que l’agriculture biologique ne pouvait, à elle seule, assurer la sécurité alimentaire au niveau mondial mais pouvait y contribuer de manière importante. Des chercheurs autrichiens ont prévenu que l’Autriche ne pourrait assurer son autonomie alimentaire si elle passait au tout bio. Le bio met en lumière l’excès de population induit par la surproduction alimentaire. A l’inverse, une étude canadienne menée pendant 10 ans est plus optimiste et révèle que le bio pourrait, en fait, nourrir l’humanité. Les engrais bio, encore très peu utilisés, autorisent des rendements élevés. Cependant, à mesure que la population augmente, les terres disponibles pour son alimentation sont trop souvent urbanisées.
Le désastre de l’agriculture intensive est longtemps resté ignoré. Il a participé à la plus grave crise agro-alimentaire et écologique de l’histoire de l’humanité. La révolution agro-chimique a donné tord à Malthus, qui prédisait une incompatibilité entre la croissance arithmétique de la production agricole (1,2,3,4) et la croissance exponentielle de la population (1,2,4,8,16). Elle a par la même occasion jeté le discrédit sur toute idée de dénatalité.
Homme et nature préservées sont incompatibles
En France, l’Homme n’est plus soumis à la sélection naturelle. La médecine sauve un grand nombre de personnes de maladies qui, associées aux guerres et aux famines, ont longtemps maintenu la population française sous la barre des 20 millions. Le seul moyen de contrôler l’effectif passe donc par la prise de conscience de la finitude des ressources et de l’espace, et du besoin d’autres espèces de vivre. Car aucune espèce, pas même l’Homme, ne peut se reproduire indéfiniment.
L’Homme s’infiltre dans toutes les niches écologiques. Dans les océans, par exemple, la pêche intensive court-circuite la chaîne alimentaire. Les humains pêchent ce que mangent les requins, qu’ils exterminent par la même occasion. Les grands prédateurs comme les requins empêchent non seulement les proies de proliférer, mais aussi de trop diminuer. Par la prédation, ils créent une pression sur ces populations, ce qui les incite à se reproduire davantage. C’est un subtil équilibre que l’Homme ignore trop souvent. On ne s’avance pas trop en disant que les 7 milliards d’humains ne seront jamais végétariens. Il est donc probable que la pression sur les ressources halieutiques se poursuive jusqu’à épuisement total.
La résilience écologique…
En prolongeant les courbes actuelles d’expansion urbaine et de besoins alimentaires croissants (donc de surfaces), la France et le reste du monde se dirigent vraisemblablement dans une impasse. D’autant plus vite qu’un paramètre vital reste ignoré : la résilience écologique. Pour s’auto-épurer, la planète a besoin d’un minimum d’écosystèmes sains – forêts, milieux humides, océans, faune et flore diverses, etc. – , de terres vierges en somme. Considérer que le sol est voué, soit à l’agriculture, soit au béton, c’est oublier que la vie est apparue grâce à la nature sauvage. Les autres espèces ont aussi besoin de place et de milieux favorables pour vivre, formant les écosystèmes indispensables à la vie. De plus, par son mode de vie, l’Homme a supprimé toute relation de symbiose et de commensalisme avec d’autres êtres. Il ne cohabite pas. Hormis les pigeons et les rats, éternels opportunistes, peu d’animaux parviennent à vivre au sein des communautés humaines, dans les villes en particulier. Les insectes et la méga faune, type gibier et grands prédateurs, n’ont plus droit de cité. Ils sont chassés ou disparaissent suite à la destruction de leur habitat. L’Homme n’autorise que chats, chiens et autres animaux de compagnie à le côtoyer. Les terres artificialisées étant exclusivement à usage humain, il est de fait impératif d’en limiter la progression.
En considérant les besoins alimentaires, l’expansion urbaine et le besoin d’espace des autres espèces, la décroissance démographique offre une marge de manœuvre précieuse. Le sol, comme toutes les ressources utilisées par l’homme, est en voie d’épuisement. Tant au niveau spatial que qualitatif.
Pour diminuer la pression sur cette ressource limitée il est nécessaire d’être moins nombreux. Surtout dans un pays occidental, où l’empreinte écologique de chacun se compte en hectares. Celle d’un Français est de 5,26 hectares globaux selon le rapport Planète Vivante 2010 du WWF. 3 planètes seraient nécessaires si le monde entier consommait autant.
Et c’est ce qui est en train de se passer. La progression des surfaces artificialisées est 4 fois plus rapide que la croissance démographique. Cela est notamment dû à la multiplication des zones commerciales et autres périmètres non résidentiels, signes que « société de consommation » et « démographie excédentaire » sont deux maux concomitants.
Procréer moins pour partager plus
Prôner la décroissance démographique, en plus d’une meilleure répartition des ressources entre les hommes, mais aussi avec le milieu naturel et les êtres qui y vivent, c’est actionner deux leviers grippés par la nature humaine, expansionniste et possessive. Retour à la nature contre-nature en quelque sorte. Ne miser que sur l’un des deux, le partage ayant meilleure figure que la dénatalité, c’est courir le risque d’un échec total.
Partout où l’occidentalisation gagne du terrain, s’en suit au départ une explosion démographique – due à la médecine et à la relative abondance alimentaire – sans compter les nouveaux besoins boulimiques en biens matériels, en viande et en loisirs que ce mode de vie suppose (ou impose ?). L’Inde et la Chine n’ont jamais été si peuplés. La population de l’Inde est passée de 450 millions à 900 millions en à peine plus de 30 ans, entre 1961 et 1993. La biosphère sera-t-elle capable d’attendre une stabilisation du nombre avant de craquer ? Même si le pic démographique est temporaire, il est si néfaste pour l’environnement que les dégradations engendrées risquent de se poursuivre au-delà, quand la population diminuera.
En France, la responsabilité écologique devrait se traduire par une gestion censée des sols. Le « il faut bien loger tout le monde » qui justifie le bétonnage, donne bonne conscience pendant un temps mais sacrifie, comme toujours, l’avenir.
La marge de progrès est grande puisque, selon la Commission européenne, trois départements français sont dans le peloton de tête des territoires européens les plus touchés par la croissance de l’artificialisation des sols. Il s’agit de la Vendée, le Tarn-et-Garonne et la Corrèze, selon le rapport Soil Sealing de la Commission européenne.
Partager durablement le sol revient à densifier les villes, à pratiquer la concentration verticale. Mais sans dénatalité, le partage n’amènera qu’aux situations déjà connues dans de nombreuses villes de France et du monde, où la densification tourne à l’entassement au fil des générations.
Preuve que, sans dénatalité, le partage n’est rien : 90% de la croissance urbaine mondiale prend désormais place dans les pays en développement (PED) et 2 milliards de personnes viendront grossir les villes du monde d’ici 2030. Il faudra, pour faire face à la demande, avoir construit 400 000 km² de villes supplémentaires, soit l’équivalent de la zone urbaine mondiale de 2000 (Banque Mondiale rapport Eco2 Cities). Cette urbanisation galopante se fera aux dépens de la nature et des terres agricoles qui entourent généralement les villes.
A l’inverse, le modèle scandinave est connu mais non suivi. Ces pays ont atteint un niveau de développement au moins égal au nôtre en matière sociale et largement supérieur du point de vue environnemental. Pas exempte de défauts, concernant la gestion de la forêt par exemple, la Scandinavie semble néanmoins avoir trouvé un équilibre entre son nombre d’habitants et ses ressources. Elle ne compte que 27,5 millions d’habitants, 2,5 fois moins qu’en France, sur un territoire de 1,48 millions de kilomètres carrés, 2,7 fois plus grand que la France. Les terres du nord sont inhospitalières et occupées seulement par les communautés indigènes comme les Sami. La majorité de la population se trouve concentrée dans les grandes villes du sud de la péninsule. Concentration relative comparée à Paris, qui dépasse les 21 000 habitants par kilomètre carré, quand Stockholm n’en compte que 4 550. C’est l’exemple d’une densification à taille humaine rendue possible par le nombre limité d’individus à loger.
Pourquoi la surpopulation est-elle responsable ?
Préconiser le simple partage des ressources, c’est en creux remettre en cause le modèle de développement actuel productiviste, en ignorant sa conséquence principale : la surpopulation. C’est bien parce que l’humanité a adopté ce modèle, de gré ou de force, qu’elle est si nombreuse. Mieux partager induit donc forcément la décroissance démographique, puisque le retour à une agriculture moins productiviste ne permettrait pas de nourrir tout le monde, à moins de couvrir la planète de champs, ce qui n’est pas souhaitable pour la survie de la biosphère. Aujourd’hui, la FAO estime que plus d’un tiers de la nourriture produite dans le monde est jetée, d’autres organisations parlent de 50%. Cela suffirait à nourrir le milliard d’affamés, que les envois gratuits de nourriture achèvent en tuant la production et le commerce locaux. De surcroît, le Nord s’accapare les terres du Sud pour nourrir son bétail ou faire rouler ses voitures. Ainsi, les cultures vivrières qui assuraient tant bien que mal la subsistance des autochtones disparaissent.
Même en imaginant une parfaite redistribution de la production et l’abolition, improbable, de la viande, les surfaces agricoles actuelles, qui ont déjà pris des millions d’hectares sur les forêts, ne suffiront pas à nourrir 9 milliards de personnes. Car à ce stade, des millions d’hectares de terres cultivables auront cédé la place aux villes, seront désertifiés, dégradés ou pollués. Il faudra fatalement aller rogner encore plus d’espace au détriment de la nature. Malgré ces menaces bien présentes, la population augmente en misant une amélioration future. Imaginer sortir d’une crise écologique en perpétuant les conditions qui y ont mené constitue un pari très risqué.
Les seules civilisations qui durent sont les bio-centristes, celles qui font de la préservation de leur environnement la condition cardinale de leur organisation. Les plus connus sont les Amérindiens et les peuples du Pacifique.
Sur l’île de Tikopia, la population est stable depuis plus de 3000 ans. Elle n’a pas eu le choix, leur île étant isolée, ce qui ne facilitait pas les échanges commerciaux. Ils ont su trouver le nombre adéquat d’humains que l’île pouvait supporter et s’y sont tenus.
Vers les 10 milliards ?
Il est possible que la population se stabilise à 9 ou 10 milliards entre 2030 et 2050. Les projections prennent comme postulat de base que la terre offrira dans 40 ans les mêmes ressources qu’aujourd’hui, les mêmes sols fertiles et le même climat propice. Ce qui ne sera pas le cas, compte tenu des dégradations environnementales survenues entre temps. La nature précipitera peut-être brutalement la décroissance démographique, sans attendre que l’humanité se décide.
Le principe de précaution ne semble pas s’appliquer à l’écologie. L’emballement des phénomènes naturels induits par l’homme demeure largement inconnu. C’est le cas du climat. Si le méthane contenu dans le permafrost se libère, il déréglera le climat bien plus vite et plus fort que prévu. Déjà, l’émergence de quelques terres circumpolaires, et le bleu foncé de l’eau liquide absorbent le rayonnement solaire et accélèrent la fonte. Plus le monde attend, plus les efforts à fournir seront colossaux et hors de portée. Et plus la population augmente, plus il est difficile de faire tendre tout le monde vers un même objectif.
Le modèle occidental, peut-être le seul qui n’aurait jamais dû s’exporter, est en train de s’imposer au monde entier. La perspective d’une répartition équitable des ressources s’annonce donc compromise. La dénatalité l’est tout autant. Serait-on dans une impasse ?
Auteur : Christofer Jauneau, contribution volontaire
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Bravo pour ce lucide article !
Bravo en effet, on ne peut que déplorer le tabou qui règne sur cette question de la surpopulation. L’analyse que vous proposez dans cet article est excellente. La question de la stabilisation démographique devrait être au coeur du crédo de tous les mouvements écologistes, nous en sommes hélas bien loin. Voyez ce que dit sur ce sujet l’asssociation française Démographie Responsable: http://www.demographie-responsable.org
Félicitations, enfin un article lucide sur l’état de notre planète et de notre économie folle.
Cet article mériterait d’être envoyé à l’ONU et à tous les chefs d’états de la Terre.