Mangera-t-on tous demain de la viande in vitro ? Cela est peu probable selon Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Alors qu’un rapport du Sénat paru le 15 mars appelle à « accélérer » les recherches, Jean-François Hocquette revient sur les enjeux d’une telle production.
Malgré de nombreuses réticences notamment des agriculteurs, le Sénat a publié ce mercredi 15 mars un rapport d’information sur les questions liées à la viande cellulaire. Ce document plaide pour renforcer les investissements publics sur ce secteur et « accélérer la recherche ». Entretien avec Jean-François Hocquette, directeur de recherche à INRAE, et auteur d’une revue intitulée « Le mythe de la viande de culture » dans le journal Frontiers in Nutrition, pour faire le point sur ses analyses du secteur.
Natura Sciences : Qu’est-ce que la viande de culture ou viande in vitro?
Jean-François Hocquette : La viande in vitro, c’est des cellules qui se multiplient dans un laboratoire. Si la culture de cellules musculaires est connue depuis longtemps dans de nombreux laboratoires de recherche public pour régénérer les tissus musculaires, en particulier en médecine, seulement une trentaine de startups privés dans le monde cherchent à utiliser la technique pour produire de la viande. C’est peu par rapport au nombre de laboratoires qui maîtrisent la technique.
Le muscle est un système complexe. Il contient une trame conjonctive qui entoure les fibres musculaires. Dans la trame conjonctive, il y a aussi des vaisseaux sanguins, des cellules de matières grasses et des nerfs. Pour produire de la viande in vitro, les laboratoires peuvent partir de cellules musculaires plus ou moins différenciées. Grâce à un mélange de culture de cellules souches, on peut essayer de se rapprocher un peu de la complexité du muscle. Ces cellules se multiplient et se transforment en cellules musculaires ou en autre type de cellules. En revanche, les cellules satellites à la périphérie du muscle génèrent uniquement des fibres musculaires, car elles sont à un stade plus avancé de différenciation. Pour reproduire un tissu qui ressemble davantage à du muscle, il est possible de faire des co-cultures en mélangeant des cellules musculaires et des cellules de matières grasses, par exemple.
Les startups communiquent peu sur les techniques utilisées. Mosa Meat aux Pays-Bas travaille plutôt sur des cellules souches pour faire des fibres musculaires. En Israël, Ales Farms a fabriqué un tissu musculaire fin. Rappelons que quand on fabrique du muscle, il faut que l’oxygène diffuse pour apporter de l’oxygène aux cellules. L’épaisseur devient alors une problématique.
Comment cultiver de la viande in vitro ?
Pour cultiver des cellules souches ou des cellules musculaires, il faut un milieu qui apporte tout ce qui est nécessaire pour que les cellules puissent vivre et se multiplier. Il leur faut de l’énergie, des acides aminés, des hormones et des facteurs de croissance. Le sérum de veau fœtal apporté dans le milieu de culture est précieux. Il est riche en hormones et en facteurs de croissance. Pour récupérer ce sérum, on est obligé de tuer la vache et le veau qu’elle porte. Certaines startups souhaitent développer une industrie dédiée pour produire chimiquement tous ces ingrédients.
Finalement, de 2013 à aujourd’hui, il n’y a pas eu de changement majeur malgré les effets d’annonces spectaculaires des startups. Le seul point notable en dix ans, c’est qu’en novembre dernier, la Food and Drug Administration [l’agence en charge de la sécurité alimentaire aux États-Unis, Ndlr.] a donné un avis favorable au procédé utilisé par la société Upside Foods pour fabriquer de la viande de culture. Néanmoins, cela ne valide en rien les autres procédés proposés par les différentes entreprises qui en fabriquent. Par ailleurs, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) mène des expertises à ce sujet et une mission sénatoriale est en cours.
Dans l’Union européenne, contrairement aux États-Unis, les implants hormonaux ou promoteurs de croissance sont interdits pour les animaux d’élevage. Ainsi, les fabricants de viande de culture ne sont pas autorisés à ajouter des hormones chimiques ou synthétiques dans le milieu de culture pour remplacer ce sérum de veau. En plus, les cellules de culture ne bénéficient pas de la production naturelle d’hormones chez l’animal, puisque la viande de culture n’en sécrète pas. Il faut donc apporter la quasi-totalité des hormones et des facteurs de croissance par la main de l’homme. Comme les implants hormonaux sont interdits en élevage conventionnel, il en va de même pour la viande de culture. Si les startups américaines veulent vendre de la viande de culture en Europe, elles vont devoir se pencher sur cette question.
Peut-on cultiver toute sorte de viande?
La viande de culture produit quelque chose qui ressemble à du muscle. Quand on abat un animal, son muscle devient dur, c’est la rigidité cadavérique. Des mécanismes biochimiques naturels se mettent en place et conduisent à couper les protéines du muscle qui de fait, devient plus tendre. Dès lors, on parle de viande et non plus de muscle. La viande, c’est le tissu musculaire d’un animal transformé après l’abattage. On parle de maturation de la viande. Les startups n’abordent absolument pas ce sujet. De ce fait, le mot « viande » est utilisé à mauvais escient.
Quand on abat un poulet, un porc ou une vache pour manger sa viande, on obtient toutes sortes de viande. Il y a par exemple de la viande rouge ou blanche, et cela renvoie à une culture culinaire différente. Avec la viande de culture, on est très loin de reproduire cette diversité. Techniquement, on peut cultiver des cellules de tous les animaux, mais cela ne veut pas dire que l’on peut reproduire la diversité des viandes. Si l’on considère la viande de bœuf, il y a le faux-filet, l’entrecôte, la bavette, le rumsteck, le pot-au-feu… La viande de culture se rapproche plutôt d’un steak haché. Si le hamburger n’existait pas, les fabricants de viande de culture auraient beaucoup plus de mal à faire parler d’eux car ils proposent un standard de viande éloigné des pièces de boucherie traditionnelles.
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Que sait-on des aspects nutritionnels?
D’un point de vue nutritionnel, on ne fait encore que des hypothèses. Pour la vitamine B12 que l’on trouve que dans les produits animaux et du point de vue du fer, il n’existe aucune étude. Il y a encore du travail à faire. Il y a seulement une synthèse d’études parue en 2023 qui explique que les informations concernant le contenu en protéines, la composition en acides aminés et la digestibilité des protéines de la viande de culture restent limitées. Néanmoins certaines observations montrent que les quantités de protéines dans la viande de culture seraient du même ordre que celles de la viande naturelle.
Où en est-on du prix de la viande de culture?
Le prix baisse très fortement mais on reste à un prix encore bien supérieur à celui de la viande conventionnelle. Toutefois, le prix n’est pas le seul facteur qui motive les consommateurs à acheter un produit. La tendance est aux produits naturels et les moins transformés possible. Les consommateurs sont parfois prêts à payer plus cher pour un produit naturel et local que pour un produit industriel. Or, la viande de culture est par construction un produit industriel.
Quelle est donc l’acceptation par les consommateurs?
Plusieurs études sociologiques montrent que les gens sont prêts à goûter de la viande de culture, mais ils ne sont pas forcément prêts à en acheter et à en consommer régulièrement. Les enquêtes montrent une grande incertitude : environ un tiers des consommateurs se disent incertains. Les startups savent comment communiquer pour mieux les influencer. Elles vont dire des choses fausses. Par exemple qu’il faut 15 000 L d’eau pour produire 1 kg de bœuf et que la viande de culture émet moins de gaz à effet de serre.
Cela fait longtemps à INRAE que nous avons montré que l’on est plutôt autour de 550 à 700 litres d’eau par kg de viande bœuf, lorsque l’on ne prend en compte que l’eau que l’on peut réellement économiser si l’on réduit notre consommation de viande. Cela ne comptabilise par exemple pas l’eau de pluie nécessaire pour faire pousser l’herbe dans les prés. En réalité, on ne peut pas affirmer avec certitude que la viande de culture va plus ou moins polluer que la viande conventionnelle, car elle n’existe pas au stade commercial et industriel. Les derniers travaux montrent toutefois qu’il ne semble pas y avoir d’avantage certain sur l’environnement.