Dans un avis récent, l’Anses dénonce un manque inquiétant de données et de suivi des expositions professionnelles aux pesticides. L’agence sanitaire dresse un bilan sévère des politiques de prévention et propose de définir des objectif explicites de réduction concernant les expositions des travailleurs agricoles.
En agriculture, des produits chimiques sont utilisés quotidiennement. Le personnel utilise des phytosanitaires (insecticides, fongicides, herbicides…) pour faire pousser les cultures, des biocides pour désinfecter les équipements et bâtiments, et des médicaments vétérinaires pour lutter contre les parasites externes des animaux d’élevage. Dans un nouvel avis, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime que le suivi de l’exposition à l’ensemble de ces produits, regroupés sous le terme générique de « pesticides », est insuffisant.
L’agence relève des données « lacunaires », des formations inadéquates, une place trop importante accordée à la prévention par le port d’équipements de protection individuelle (EPI) et un suivi insuffisant de l’ensemble du personnel. Selon l’Anses, plus d’un million de personnes travaillent régulièrement en agriculture. Si l’agence note déjà une formation insuffisante concernant l’exposition aux pesticides des salariés, celle-ci est quasi-inexistante pour les « plusieurs centaines de milliers de travailleurs non permanents ainsi que plusieurs dizaines de milliers de stagiaires ». L’agence exhorte les pouvoirs publics à agir pour que l’ensemble des travailleurs potentiellement exposés soient effectivement formés, quel que soit leur statut sur une exploitation.
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Pesticides : des expositions insuffisamment documentées
Une large gamme de produits phytosanitaires, biocides et médicaments vétérinaires peut être utilisée sur une même exploitation. Mais « peu de connaissances existent sur les caractéristiques et les effets potentiels de ces combinaisons », s’alarme l’Anses. Par ailleurs, les données concernant les expositions sont « dispersées, sans aucune centralisation de l’ensemble, aussi bien pour les données de pré-homologation que de post-homologation ». Seuls les produits phytosanitaires sont concernés par des projets de suivi réglementaire « post-homologation », et l’Anses juge le suivi actuel « très insuffisant ».
L’agence recommande donc de soutenir des études indépendantes sur le terrain pour explorer les effets potentiels d’expositions à une combinaison de pesticides « à l’échelle de l’individu, au cours d’une saison, et au cours d’une carrière professionnelle ». Elle souhaite aussi caractériser les expositions possibles aux différents postes en fonction des filières, des tâches et du profil du travailleur, avec un effort particulier sur les populations sensibles ou vulnérables, telles que les femmes enceintes. L’Anses préconise aussi de créer un dispositif de veille public « centralisant et capitalisant les informations scientifiques, techniques et réglementaires sur les expositions pour tous les pesticides » et de développer une veille collaborative internationale pour mieux documenter les différentes expositions, suivant les pratiques agricoles.
Enfin, l’Anses souhaite harmoniser les méthodes d’évaluation des expositions dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché des trois types de pesticides. L’agence estime que les données d’exposition utilisées dans les modèles d’exposition sont pour la plupart fournies par les industriels. Elle invite à modifier les procédures pour s’assurer que ces modèles incorporent des données produites par la recherche académique, les données de la statistique publique agricole et les données d’études de terrain.
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Ecophyto, une stratégie mise à mal
Le plan Ecophyto 2 a introduit un système de certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP). Les distributeurs de pesticides et les grandes coopératives devront engager des services et conseils pour réduire les produits phytosanitaires chez leurs clients de 20 % d’ici 2020. Le conseil est donc directement dans les mains des producteurs de pesticides ou des entreprises dont les bénéfices commerciaux sont directement dépendants de l’usage de pesticides, ce qui « soulève la question des conflits d’intérêt dans lesquels s’inscrivent ces prestations », relève l’Anses. Elle recommande d’évaluer les conséquences de ces situations sur la qualité du conseil délivré et de développer des actions de prévention par des organismes indépendants.
Certaines stratégies visant à réduire l’usage des pesticides peuvent s’avérer contre-productives. C’est notamment le cas de quelques pratiques présentées comme agro-écologiques, qui peuvent entraîner en réalité une augmentation des expositions professionnelles : techniques sans labour, élevage de grande dimension, fractionnement des doses, substitution des produits…. L’Anses demande de « revoir la stratégie du plan Ecophyto en mettant en oeuvre dès maintenant sans attendre 2020 une réelle politique d’accompagnement des acteurs à la réduction d’utilisation des pesticides : fondée sur la recherche d’une moindre dépendance des systèmes de culture et de production aux pesticides permise par des stratégies de reconception de ces systèmes ».
La prévention des risques et la formation nettement insuffisantes
Sur le terrain, la prévention des risques se limite principalement aux comportements individuels : mesures d’hygiène, port des EPI (combinaison, masque et gants) et type de matériel utilisé. Une ineptie, selon l’Anses, pour qui les EPI devraient être le dernier rempart à favoriser, et non le pilier de la formation et du conseil. Si « des évolutions technologiques du matériel, des équipements de protection, des conditionnements, des formulations sont régulièrement proposées par les fabricants comme des solutions permettant de diminuer les expositions des utilisateurs […], il n’y a pas d’évaluation systématique de la réelle diminution d’exposition individuelle qu’entraînent ces changements », regrette l’agence sanitaire. Elle prône donc la mise en place d’études de terrain indépendantes pour vérifier ces performances et demande de renforcer le contrôle du matériel de pulvérisation. Le contrôle des pulvérisateurs pourrait être l’occasion d’une meilleure information sur la question des expositions aux pesticides grâce à la mise en place d’une formation adéquate des utilisateurs.
Les formations doivent inclure « la notion prioritaire de réduction d’usage avant le port des EPI », rappelle l’agence. Elles doivent aussi aborder la question des contaminations indirectes, notamment lors de la réentrée dans les cultures traitées, suite à une pulvérisation de pesticides, ou la manipulation des animaux traités. Il convient par ailleurs de « privilégier les mesures de prévention et de protection générales et ou collectives plutôt que les mesures individuelles ».
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com