Parmi les grands écosystèmes à protéger dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, nous mettons ici en lumière les tourbières. Ces zones humides sont aujourd’hui protégées en France, mais le défi consiste à les restaurer, et à les sauvegarder face aux risques de sécheresse. Car lorsqu’elles sont asséchées, les tourbières relarguent tout le CO2 qu’elles renferment dans l’atmosphère. Grégory Bernard, chargé de mission scientifique et technique à la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, nous en dit plus sur ces écosystèmes exceptionnels.
Les tourbières, comme beaucoup de zones humides, ont mauvaise réputation. Ces eaux stagnantes sont souvent mal aimées à cause des moustiques qu’elles peuvent attirer, raison pour laquelle ont souvent été asséchées. Pourtant, ce sont des écosystèmes exceptionnels. Les tourbières ne peuvent apparaître que lorsqu’une certaine acidité est atteinte dans un marais. Des petites plantes de la famille des mousses, connues sous le nom de sphaignes, peuvent alors se développer. Ces dernières privent d’oxygène et étouffent les bactéries et champignons. Sans eux, la décomposition des matières végétales mortes, comme les feuilles ou les branches, est très fortement ralentie, voire impossible. Ces matières s’accumulent alors pour former la tourbe, et le marais acide se transforme en tourbière.
Si les tourbières abritent une faune et une flore particulière, les matières végétales accumulées séquestrent le carbone accumulé au cours de leur vie. Or, une tourbe grandit en moyenne au rythme de 0,2 à 1 millimètre par an, et les tourbières ont commencé à se former il y a plusieurs milliers d’années. Ainsi, elles stockent désormais près d’un tiers du carbone des sols du monde, sur seulement 3% des terres émergées.
Un inventaire français à compléter
Pour l’instant, il existe peu de données sur le carbone stocké par les tourbières en France. « Au niveau français malheureusement, on manque encore de connaissances. Nous n’avons pas encore d’inventaire complet des tourbières du pays », explique Grégory Bernard, chargé de mission scientifique et technique à la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels. Une estimation existe tout de même. « Il y aurait 100.000 hectares de tourbières en France, même si ça mériterait d’être affiné, précise-t-il. Et une tourbière qui fait deux mètres d’épaisseur contient 1.400 tonnes de carbone à l’hectare ».
« Les tourbières sont constamment gorgées d’eau. C’est la caractéristique la plus importante pour leur fonctionnement », explique le chargé de mission. Or, par souci d’assainissement, ou pour augmenter les parcelles de cultures, les tourbières, les humains les ont souvent asséchées. Ce drainage de l’eau a également été employé pendant des décennies pour utiliser la tourbe comme matériau de chauffage. Autant de méthodes qui ont endommagé ces écosystèmes.
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Travaux de restauration des tourbières
Dégradée, une tourbière relâche dans l’atmosphère tout le carbone qu’elle contient. Et c’est ce qu’il se produit aujourd’hui. Au niveau mondial, les tourbières endommagées contribuent à hauteur de 5 à 6% aux émissions annuelles de gaz à effet de serre d’origine humaine. « Cela représente en moyenne entre 10 et 25 tonnes d’équivalent CO2 par hectare et par an. Cela va dépendre du type de tourbière et de l’intensité de la dégradation », détaille Grégory Bernard. Il est donc essentiel de garder le carbone piégé là où il se trouve, et de restaurer les tourbières dégradées. « Une fois l’eau retirée, les processus de dégradation de la matière organique se remettent en route. Donc toute la tourbe accumulée se dégrade et relargue le CO2 qui était stocké jusque là », souligne l’expert.
Les chiffres d’émissions de CO2 dus à la dégradation des tourbières en France restent inconnus. Des chercheurs ont toutefois lancé des travaux pour déterminer l’impact des tourbières dégradées sur notre bilan carbone national. « La prise de conscience de l’enjeu carbone dans les tourbières est relativement récente, donc les choses sont en train de se mettre en place », rassure le chargé de mission. Si la France protège aujourd’hui ses tourbières, il faut tout de même restaurer les dommages passés. « On sait les réparer et il existe plusieurs techniques pour les restaurer », ajoute-t-il. Pour l’instant, il est impossible de chiffrer le coût de ces restaurations.
Réchauffement climatique, évaporation de l’eau et relâchement de CO2
Aujourd’hui, l’homme n’assèche plus directement les tourbières en France, mais le dérèglement climatique a pris le relais. Celui-ci engendre plus de sécheresse et installe une pression sur la ressource en eau. L’évaporation menance les tourbières, mais d’autres facteurs entrent aussi en jeu. « Certaines tourbières sont alimentées par des nappes phréatiques. Les mêmes nappes qui nous servent pour l’alimentation en eau potable ou pour les activités agricoles. Si le niveau des nappes continue à descendre, à un moment la nappe n’alimentera plus la tourbière. Ce qui va l’assécher et relâcher du CO2 », s’inquiète Grégory Bernard.
Dans le reste du monde, les tourbières ne sont pas toujours protégées. Pourtant, les émissions de CO2 sont à considérer à niveau global. « Il y a quand même de gros soucis dans les pays tropicaux, où il y a de très grosses tourbières, notamment en Indonésie. Ce sont des tourbières où il y a des forêts dessus, la quantité de carbone captée est donc astronomique. Et les tourbières sont asséchées là-bas pour faire de l’agriculture, cela pèse lourd dans le bilan carbone de ces pays », alerte le chargé de mission. Ces tourbières venues de l’autre bout du monde se retrouvent parfois dans le terreau que nous utilisons pour nos plantes. Il est donc vivement recommandé d’éviter de les acheter.
Ouns Hamdi