La découverte de diverses protéines fluorescentes chez les poissons révolutionne aujourd’hui la biologie expérimentale. Les scientifiques savaient que certains poissons de récifs pouvaient redistribuer une lumière absorbée, mais ils ont récemment découvert qu’au moins 180 présentaient cette particularité ! Ces résultats ont récemment été publiés dans la revue Plos One.
Suite à cette découverte, des expéditions ont été menées sur toute l’année 2011 et 2013 aux Bahamas, sur les îles Salamon, sur les iles Caïmans et aux Caraïbes, sous la direction, entre autres, du Muséum d’histoire naturelle américain.
Les résultats de ces recherches démontrent que les poissons sont bien plus sujets à la fluorescence qu’on l’imaginait. Ce ne sont pas moins de 50 familles, 105 genres et 180 espèces de poissons qui ont été recensées. Les chercheurs révèlent que l’on retrouve cette capacité aussi bien chez des requins et des raies, que chez des anguilliformes, poissons-scorpion et autres petits poissons benthiques.
La biofluorescence serait plus présente chez les poissons de récifs adeptes du camouflage dans leur environnement. Certaines parties de leur corps ont tendance à mieux renvoyer la lumière fluorescente. C’est le cas de la tête, des mâchoires, des nageoires et des flancs. Pour les murènes, c’est même tout le corps qui devient fluo ! Plus curieux encore, d’autres poissons peuvent se révéler fluorescents lorsqu’ils sont exposés à un spectre de lumière précis. Il s’agit des poissons vivants dans les fonds marins, qui passent leur vie dans l’obscurité et qui ne voient donc que très rarement la lumière du jour. Les roussettes et les poissons-lézards présentent cette caractéristique.
La biofluorescence, en fait c’est quoi ?
Il est important de distinguer la biofluorescence de la bioluminescence. La bioluminescence correspond à la production de lumière par un être vivant : grâce à une réaction chimique, l’énergie est convertie lumière. La biofluorescence, celle qui nous intéresse ici, concerne la capacité d’un organisme vivant d’emmagasiner la lumière issue d’une certaine partie du spectre lumineux (longueur d’onde). Il s’agit dans ce cas de lumière noire (une lumière composée de violet et de proche ultraviolet), pour émettre ensuite une lumière fluo dans les tons orangés ou verts. Concrètement, tout le monde connaît les étoiles de décoration en plastique : une fois exposées sous une ampoule allumée, elles brillent dans le noir. C’est, à peu de choses près, le même procédé. La phosphorescence est d’ailleurs un synonyme de fluorescence.
La biofluorescence est assez répandue dans les fonds marins. On trouve ce phénomène chez de petits crustacés (copépodes), chez des crustacés comme les crevettes-mante ou les squilles et chez les anémones de mer et des coraux (anthozoaires)aux). C’est d’ailleurs en étudiant la fluorescence des coraux Bahaméens et en les éclairant d’une longueur d’onde spéciale que les chercheurs ont été surpris de voir une anguille d’un vert phosphorescent s’échapper.
Pourquoi des poissons fluorescents ?
La biofluorescence servirait à la même chose que la bioluminescence : la reproduction, la prédation, la communication et le camouflage. La biofluorescence touche une multitude de poissons cartilagineux et osseux et d’invertébrés marins, sans distinction de milieux. Certains sont mieux équipés pour percevoir ces phénomènes lumineux, ce qui leur permet d’élaborer des stratégies, pour se reproduire, communiquer, s’alimenter ou se protéger, plus élaborées.
Des organismes de haute mer luminescents, comme la méduse de cristal (Aequorea victoria), produisent une lumière verte pour attirer des congénères en vue de la reproduction. Le poisson-dragon (Malacosteus sp.) bioluminescent doit son nom à la lumière qu’il produit pour colorer sa gorge de rouge par fluorescence. Les chercheurs supposent qu’elle attirerait les proies de petites tailles très près de lui, voir dans sa gueule.
Alors que les poissons osseux ou d’eaux peu profondes (petits requins et raies) ont une bonne perception des couleurs en raison d’un habitat visuellement complexe et de filtres intraoculaires, les poissons d’eaux plus profondes ont une vue bien plus limitée. Ce sont justement ces filtres majoritairement jaunes dans les cornées et les lentilles qui permettent d’exploiter la fluorescence pour se signaler entre congénères, à l’insu des prédateurs qui n’en sont pas équipés. C’est le même mode de fonctionnement que les céphalopodes (pieuvres, seiches) qui communiquent entre eux à l’aide de légers signaux lumineux tout en restant camouflés aux yeux des prédateurs. Il faut cependant savoir que ce langage n’utilise pas la biofluorescence, mais des cellules de pigments spécialisées (nommées iridophores). On est donc plus en présence d’un changement de couleur physique que d’une réaction chimique (bioluminescence) ou d’une émission (biofluorescence).
La crevette-mante ou crevette-marteau (Lysiosquilla glabriuscula), est connue pour posséder une vision des couleurs utracomplexes. Si l’Homme possède 3 photorécepteurs qui lui permettent de percevoir les couleurs, cette crevette en possède huit et voit des milliers de nuances dans le domaine de l’ultraviolet, qui nous sont invisibles. Étant très territoriale et agressive, on estime qu’elle utilise la biofluorescence pour signaler sa présence. Si pour la crevette-marteau, la bioluminescence est un moyen de se faire remarquer, pour d’autres, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la couleur fluo sert de camouflage. Ainsi, le poisson du genre Scolopsis se sert de la couleur verte qu’il émet pour se fondre au milieu du corail (Acropora sp.). Ce dernier émettant la même fluorescence, cela lui confère un camouflage particulièrement efficace.
Les chercheurs s’intéressent notamment à la biofluorescence, car les protéines responsables de l’absorption et de la réémission de lumière pourraient s’avérer utiles lors d’études génétiques. Elles permettraient de mettre en évidence ou d’isoler un gène par une couleur fluo dans un génome.
Auteur : Rudy Palatci, étudiant en journalisme