Mardi 12 octobre, Emmanuel Macron présentait son plan d’investissement de 30 milliards d’euros dans les secteurs et technologies du futur. Plusieurs experts reviennent point par point sur les mesures annoncées par le président. Ils critiquent largement son manque d’ambition qui peine à répondre au défi climatique.
Dans son plan France 2030 dévoilé mardi, Emmanuel Macron mise sur l’innovation technologique pour sauver le climat, enjeu auquel il dédie 50% de son plan. Le président fait notamment le pari d’un avion bas carbone à 2030, de la voiture électrique et hybride ou encore de l’hydrogène vert. Des promesses ambitieuses dont les experts doutent.
R&D au rendez-vous ?
Mardi dernier, Emmanuel Macron n’a pas hésité à défendre la recherche et le développement (R&D) et l’innovation qu’il qualifiait de « piliers essentiels. » Mais pour Greg De Temmerman, physicien et chercheur, « le plan est encore un peu vague, notamment sur les montants, même si en tant que chercheur je trouve ça intéressant qu’on parle de R&D ».
Pour Nicolas Berghmans, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l’Iddri, la R&D et l’innovation étaient nécessaires dans ce plan. « Quand on parle de nos objectifs climatiques, il faut transformer l’ensemble de la société et de l’économie. »
En revanche, ce n’est pas suffisant pour le chercheur. « L’innovation n’est pas que technologique mais aussi sociétale. Il faut aussi investir pour déployer l’existant, pas seulement des innovations de rupture », assène Nicolas Berghmans. Pour cela, il soutient qu’il faut déployer les énergies renouvelables, la rénovation énergétique des bâtiments et des infrastructures de transport. « Qui sont du ressort des pouvoirs publics », précise-t-il.
La folie de l’avion bas-carbone
Pour Greg de Temmerman, « le transport aérien est la chose la plus difficile à décarboner. » Il explique que dans les pistes souvent mentionnées, l’avion électrique paraît impossible pour des longs courriers. « La densité d’énergie des batteries sont trop bien trop faibles, il y a des limites physiques à ce qu’on peut faire avec des batteries », assure le physicien.
Concernant la piste de l’hydrogène, le chercheur alerte surtout sur les questions de sécurité. « Théoriquement l’hydrogène peut faire tourner des moteurs classiques d’avions. Mais l’hydrogène est explosif », prévient Greg de Temmerman. Reste alors l’option des carburants synthétiques. « On prend du CO2 et de l’hydrogène pour faire des carburants ou utiliser des biocarburants », explique le physicien.
Puisque la France est un pays d’aéronautique, chercher à décarboner paraît logique pour Nicolas Berghmans. Scientifiquement, plusieurs solutions sont sur la table mais doivent encore être éprouvées. Le chercheur le soutient : « la question ne peut pas se poser qu’en termes technologiques. On sait que les besoins en énergie sont importants et que les solutions envisageables posent la question des ressources. » In fine, il faut prendre en compte la demande en déplacements et des alternatives. « On doit repenser la place de l’aviation dans la société bas carbone qu’on souhaite voir advenir », estime Nicolas Berghmans.
Et 2030 n’est pas si loin. Greg de Temmerman le rappelle : « ce qu’on oublie souvent quand on parle d’innovation, c’est que 2030 est proche. Même si un avion électrique réussit à faire Paris-Toulouse en 2030, il faut en vendre, équiper l’ensemble d’une flotte etc. » Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire, parle quant à lui « d’ambitions déraisonnables sur l’avion bas-carbone. »
Nucléaire et SMR à souhait
Emmanuel Macron annoncé un investissement d’un milliard d’euros pour le nucléaire et a notamment ouvert la voie aux small modular reactors (SMR). Mais Greg de Temmerman, directeur du think tank Zenon Research, déplore qu’on « ne sache pas comment l’argent va être distribué. »
Les deux chercheurs s’y accordent : « scientifiquement, c’est tout à fait crédible », assure Greg de Temmerman. L’idée des SMR est d’obtenir des réacteurs beaucoup plus petits pour accélérer les constructions. « Ce qui permettrait aussi de mieux contrôler les chaînes logistiques », argumente le physicien.
De plus, il précise qu’il est compliqué de construire des unités puisqu’il faut un capital important dès le départ. « Pour ces SMR, il s’agit plus de développement que de recherche », juge Greg de Temmerman qui voit les SMR comme un produit d’exportation. « L’idée étant d’en implanter en France pour montrer qu’on sait les faire », explique le chercheur.
Lire aussi : Emmanuel Macron défend le nucléaire et prône la “résilience” face aux “dérèglements” climatiques
Un pari sans succès garanti, selon Nicolas Berghmans. Si près de 70% de l’électricité de notre pays provient du nucléaire, « le SMR est un domaine du nucléaire où beaucoup d’acteurs sont présents », informe le chercheur. D’autant plus que « d’autres pays sont plus en avance », assure Nicolas Berghmans. Au-delà du nucléaire, le président a encouragé le développement des énergies renouvelables innovantes. « Le plan s’équilibre grâce à cela », estime le chercheur.
Tristan Kamin y voit un point positif : « c’est formidable de soutenir publiquement la recherche dans le nouveau nucléaire. » Mais l’ingénieur en sûreté nucléaire doute, car « le nucléaire s’inscrit dans le temps long. Or l’engagement d’Emmanuel Macron n’a pas du tout l’air d’être dans la même chronologie. »
La France peut-elle devenir leader de l’hydrogène vert ?
Dans son plan France 2030, Emmanuel Macron a dévoilé sa stratégie dans l’optique de devenir leader de l’hydrogène. « essayer de produire beaucoup chez nous car on a la possibilité de faire de l’électrolyse décarbonée », a déclaré le président. En France, la production d’hydrogène industriel représente plus de 900 000 tonnes par an.
« S’il y a un pays qui doit produire de l’hydrogène c’est bien la France », tranche Greg de Temmerman. Pour ce dernier, aucun doute : « il y a un intérêt national. On a des réacteurs nucléaires qui produisent à très bas carbone en plus des énergies renouvelables. » Le facteur de charge des réacteurs étant à 70%, il y a une marge pour les faire fonctionner davantage et produire de l’hydrogène.
Cependant, Greg de Temmerman met en garde sur cette tendance à réduire l’utilisation d’hydrogène aux transports. « Il faut garder en tête que sa principale utilisation sera l’industrie. Notamment pour la production d’acier, le raffinage des carburants et la chimie », assure-t-il.
Et Nicolas Berghmans rappelle que la France n’est pas la seule à faire ce pari. « La question qui se pose est donc : est-ce qu’il y a une stratégie pour importer de l’hydrogène ? Ce qui serait sûrement moins cher », s’interroge le chercheur. David Nguyen, conseiller communication de la ministre de la Transition écologique, déclarait mardi soir : « Sur l’hydrogène, il faut s’assurer qu’on ait les technologies pour produire notre propre hydrogène. »
Automobile : « On doit passer au tout électrique »
Greg de Temmerman déplore que le président ait « passé autant de temps sur les voitures hybrides. » Le physicien précise que les constructeurs français veulent conserver l’hybride le plus longtemps possible. « Mais d’un point de vue carbone, il aurait fallu annoncer deux millions de véhicules électriques d’ici 2030 », regrette le chercheur. En effet, ce dernier dénonce une opportunité manquée, « car on doit passer au tout électrique si on veut être sérieux. »
Le ministère de la Transition écologique soutient malgré tout le plan du président. David Nguyen déclarait mardi soir : « nos industriels doivent vendre des voitures électriques ou hybrides, coller à l’objectif de Macron. »
« Les règles du marché automobile se prennent au niveau européen », rappelle Nicolas Berghmans. Et pour 2035, la Commission européenne exige la fin des moteurs thermiques. « On peut donc se demander si continuer l’hybride est pertinent », admet le chercheur.
Mais l’objectif du président est déjà « une bascule considérable » pour Nicolas Berghmans. Il précise que l’objectif de deux millions de véhicules « est à peu près ce que produit la France aujourd’hui. »
Greg de Temmerman déplore un « long discours avec beaucoup de choses peu concrètes. Ça aurait été pas mal de savoir exactement de quoi on parle, notamment en matière d’énergie et d’agriculture. » Face aux doutes, le Ministère de la Transition écologique rappelle que ce plan est d’abord une vision générale. « C’est une étape avec un travail qui va continuer dans les mois à venir. Il y aura de la souplesse dans le déploiement de ce plan avec une logique de capacité à rebondir en cas d’impasse », assure le conseiller du cabinet.
Jeanne Guarato