De plus en plus utilisées, notamment pour la fabrication d’engrais, les ressources de phosphore s’épuisent. Lutter contre le gaspillage et améliorer les pratiques : serait-ce la solution ?
En 2009, le concept de « limites planétaires » était créé par un groupe de chercheurs dirigé par Johan Rockström. Une limite planétaire était définie comme « une limite environnementale à ne pas dépasser pour que l’humanité puisse poursuivre son développement normal ». Neuf limites étaient identifiées, par exemple le changement climatique, ou la perte de biodiversité. Six années plus tard, lors d’une actualisation du projet initial, une des limites affichait un progrès inquiétant : le cycle du phosphore. Cet élément est une clé de voûte du fonctionnement des organismes terrestres.
A quoi sert le phosphore ?
Le phosphore est partout. Dans la nature, le phosphore exploité dans les mines se présente sous forme de phosphate dans les roches. Chez les êtres vivants, il est essentiel, car il fait partie intégrante de l’ADN. Il est par ailleurs nécessaire à la photosynthèse pour les végétaux et la respiration chez les animaux. Enfin, il est présent dans chaque molécule d’adénosine triphosphate (ATP) – la molécule qui permet le transport d’énergie dans les cellules.
Autrement dit, sans cet élément, on ne va pas très loin. C’est pour cela qu’une écrasante majorité du phosphore (90%) extrait aujourd’hui est utilisé pour la fabrication d’engrais. Ils seront épandus sur nos champs cultivés. L’homme a aussi trouvé de nombreuses autres utilisations à cet élément aux propriétés particulières. On le retrouve, par exemple, dans les fumigènes, les mines antipersonnel ou le dentifrice…
Où est le problème ?
Pour fabriquer tous les produits dérivés du phosphore, il faut aller le chercher quelque part. Or, dans ce cas précis, les ressources sont très inégalement réparties sur notre planète. Le Maroc, la Chine, les États-Unis et l’Afrique du Sud réunis, représentent 80% des réserves de phosphate. À lui seul, le Maroc détient 40% des réserves mondiales. On y trouve des mines gigantesques, desquelles le précieux élément est exporté aux quatre coins du monde.
La demande de phosphore a augmenté de manière considérable sur les 50 dernières années. Cette augmentation devrait se poursuivre dans les prochaines années : jusqu’à 60 mégatonnes en 2070, contre 20 en 2010, et moins de 10 avant 1970. Il est très compliqué d’estimer combien de temps nous pouvons tenir avec les réserves de phosphore actuelles. Selon les études et les modèles, les estimations varient de 30 à 300 ans. Mais le phosphore est une ressource non renouvelable, et en aucun cas substituable. La vie ne se fait pas sans lui. De ce fait, une consommation toujours plus importante du phosphore, ainsi qu’une diminution des ressources, représente une menace réelle pour la sécurité alimentaire au niveau mondial.
Lutter contre les pertes dans la chaîne de production
S’il faut continuer à produire de la nourriture pour une population croissante, comment ne pas compromettre ces réserves de phosphore ? Une chose est sûre, le phosphore ne disparaît pas. En vérité, nous excellons dans une discipline très particulière : le gaspillage. De la roche au consommateur, la perte est de 80%. Les pertes les plus importantes sont liées aux pratiques agricoles. En effet, une quantité considérable d’engrais est perdue, causant également des problèmes d’eutrophisation.
Il y a plusieurs causes majeures au gaspillage de phosphore dans notre système de production. Le manque de circularité de ce dernier en est une : nos déchets sont trop peu recyclés. Or, les déchets organiques contiennent des quantités très importantes de phosphore. Les déjections humaines et animales, l’urine et les restes de plantes après récolte (tige, racine,…) pourraient être bien plus valorisés qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’efficacité au niveau de l’extraction et de la transformation de la roche est également à remettre en question puisque pas moins de 30 à 40% du phosphore y est perdu. Enfin, le reste des pertes se situent au niveau de la chaîne de production alimentaire, de la ferme à la fourchette.
Si la crise du phosphore est une menace réelle et dangereuse, les solutions pour y échapper sont parfois simple et peu coûteuses à mettre en place. De plus, diminuer la dépendance des pays vis-à-vis des roches phosphatées leur permettrait d’échapper à un marché où les prix ne cessent d’augmenter depuis les 60 dernières années. S’intéresser à cette problématique maintenant, avant d’être dos au mur, nous permettrait de préparer de manière durable un système de production capable de nourrir à long-terme 9 milliards de terriens. Qu’est-ce qu’on attend ?
Auteur : François Questiaux, étudiant en développement agricole à l’université de Copenhague, contribution bénévole
Avertissement: cet article est une contribution bénévole et ne reflète pas forcément l’avis de la rédaction.