Le parc national d’Ichkeul, réserve naturelle tunisienne, voit toujours son écosystème menacé, dix ans après son déclassement de la liste du patrimoine naturel menacé de l’UNESCO. Eclairage.
Selon un rapport de l’ONG WWF rendu public le 6 avril dernier, le parc naturel d’Ichkeul en Tunisie figure parmi la liste des 114 sites naturels inscrits au Patrimoine mondial « menacés par des activités industrielles néfastes ». L’objectif de cette publication était de mettre en garde le public, mais surtout les autorités compétentes sur le fait que plus de la moitié des sites classés par l’UNESCO pour leur biodiversité (au nombre de 229 au total) sont encore confrontés aujourd’hui à des menaces réelles, conséquences directes de l’activité humaine.
Les premiers visés sont les gouvernements ainsi que les industriels pour Marco Lambertini, directeur général du WWF International. Pour lui, « il est temps que les gouvernements tiennent leurs engagements concernant la préservation de la valeur universelle exceptionnelle […] des sites naturels », et il rappelle que « les entreprises ont aussi un rôle clé à jouer dans la conservation des sites ». Ces mises en gardes sont d’autant plus importantes qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas de plus grande protection que d’être classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO pour les sites naturels. S’il existe une liste du patrimoine mondial en péril faite par la même institution, cela ne semble pas suffire à protéger les sites les plus exposés aux dangers de la pollution liée aux activités de l’homme. De plus, certains exemples, comme celui du parc naturel d’Ichkeul, permettent de mettre en avant un hiatus évident existant entre la liste du patrimoine menacé réalisé par l’UNESCO et celle du WWF. En effet, certains lieux naturels d’exception qui ont suscité l’inquiétude de l’UNESCO par le passé seraient officiellement sauvés aujourd’hui, alors que le WWF estime qu’il faut continuer d’être préoccupé par leur sort.
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Parc national d’Ichkeul : un déclassement par l’UNESCO incompris
Si le parc d’Ichkeul, situé à 25 km de la ville de Bizerte dans le nord de la Tunisie, a été répertorié comme étant en péril par l’UNESCO en 1996, c’est parce-que des barrages construits dans le lac d’Ichkeul ont eu un impact direct sur la qualité de l’eau de ce dernier grand lac d’eau douce d’Afrique du nord, engendrant alors un déséquilibre probant sur l’écosystème alentour. De ce fait, plus de 200 espèces animales et 500 espèces végétales se sont retrouvées menacées. L’objectif pour l’UNESCO était alors d’instaurer un programme d’aide en vue de purifier l’eau douce et d’arriver à une meilleure gestion des ressources hydrauliques du parc.
En 2006, il a été considéré par l’organisation que la situation s’améliorait franchement, et que « la restauration de l’écosystème était en bonne voie ». Mais le bât blesse lorsque des voix s’élèvent contre cette décision. Fathi Ayache, maître-assistant en biogéographie à l’Université de Sousse (Tunisie) semble comprendre en tout point la dénonciation faite par le WWF. « Le déclassement de la liste du patrimoine en péril de la réserve naturelle d’Ichkeul par l’UNESCO en 2006 est une aberration. En réalité le lac et les marécages du parc ne sont toujours pas sauvés » déclare le professeur désolé.
Pour lui, plus que de ne pas s’être améliorée, la situation s’est même dégradée durant les dix dernières années. « L’UNESCO a considéré que les résultats des analyses de l’eau du lac étaient bonnes car le taux de salinité avait considérablement baissé. Mais le résultat était erroné car il ne prenait pas en compte les inondations qui ont faussé les tests » explique Fathi Ayache. Aujourd’hui, au moins trois barrages sont toujours en place, et la flore est toujours tributaire du déséquilibre de l’écosystème comme l’atteste la présence nouvelle de l’ammi visnaga, une plante qui ne pousse pas naturellement dans cet espace.
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De lourds manquements pointés du doigt
Fathi Ayache déplore aussi le fait que les infrastructures mises en place ne soient pas entretenues : « une écluse avait été construite sur le chenal qui relie le lac Ichkeul à Bizerte. La digue reliée à la berge a été détruite par une inondation et n’a jamais été restaurée, donc aujourd’hui cette écluse n’est pas fonctionnelle ».
L’universitaire, qui par le passé a travaillé au ministère de l’Environnement tunisien, n’hésite pas à engager la responsabilité du gouvernement en affirmant que la réserve naturelle est clairement laissée à l’abandon. Sur ce point, Fathi Ayache semble être d’accord avec les mises en gardes du WWF, comme sur la question des risques industriels. « Les usines de sidérurgie et la cimenterie de Bizerte représentent un réel danger pour le lac et les marécages car elles y déversent leurs déchets sans tenir compte des conséquences de leurs agissements sur l’environnement. Très peu de personnes semblent réaliser que l’une des conséquences de la salinité de l’eau et du déséquilibre de l’écosystème est que les oiseaux ne peuvent plus se nourrir aux abords du lac ».
Cependant, les accusations du professeur en biogéographie vont encore plus loin que celles du WWF. Ce dernier met aussi en cause la responsabilité des riverains. « Les habitants de la zone déversent eux aussi leurs détritus. Ils n’hésitent pas à jeter dans les eaux des cadavres de poulets et des matières plastiques, rendant les berges très polluées ». Une prise de conscience de ces derniers est donc primordiale.
Fathi Ayache rappelle aussi que les engagements pris dans le cadre de la Convention de Ramsar, en vue de la protection des zones humides dans lesquelles vivent des oiseaux d’eau migrateurs, ne sont pas respectés. De là à ce que d’aucuns s’interrogent sur le suivi des sites déclassés de la liste du patrimoine en péril, il n’y a qu’un pas. Face aux risques encourus par la nature, l’idée d’instaurer un organisme de suivi complétant l’action de l’UNESCO envers le patrimoine naturel dont le péril est avéré devient légitime.
Auteur : Chaymaa Deb, journaliste du webzine Natura-sciences.com