La Commission européenne a présenté le 14 juillet une douzaine de propositions dans le cadre de son plan climat, ayant pour objectif de réduire les émissions de CO2 en Europe de 55% d’ici à 2030. Le renforcement du marché carbone européen est l’un des piliers de ce projet, malgré les réserves des Etats membres et des ONG.
En avril dernier, l’Union européenne a fixé un objectif de réduction de 55% de ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’ici à 2030. Mercredi 14 juillet, la Commission européenne a présenté une douzaine de propositions législatives qui doivent permettre d’atteindre cet objectif. Le renforcement du marché carbone européen (Emissions Trading System, ETS) est au cœur de ce plan climat européen.
La Commission européenne propose d’élargir l’ETS aux importations des secteurs les plus polluants. A partir de 2023, le nombre de permis à polluer et de quotas gratuits sera progressivement réduit afin de faire monter le prix de la tonne de CO2. Enfin, la mesure la plus controversée de ce plan climat propose la création d’un deuxième marché carbone. Il concernera le chauffage des bâtiments et le transport routier. ONG et élus dénoncent un projet qui impactera directement les consommateurs, en augmentant leur facture d’électricité ou le coût de leur plein de carburant.
Bruxelles vise une adoption de ses douze propositions en 2023. D’ici là, il faudra que les 27 Etats membres et le Parlement européen parviennent à un compromis. Il reste donc de longs mois de négociations avant d’aboutir à un projet législatif final pour ce « Green deal » européen.
Augmenter le prix du CO2
Le principal pilier du plan climat européen est un élargissement considérable de l’ETS. Établi en 2005, l’ETS est un marché où s’échangent les « permis à polluer » requis pour les industries les plus polluantes. Ces industries sont la production d’électricité, la sidérurgie, le ciment et l’aviation commerciale pour les vols dans l’Union européenne (UE). Elles représentent 40% des émissions de CO2 européennes.
L’ETS applique le principe du pollueur-payeur : les grandes industries émettrices de carbone sont obligées d’acheter des « permis » pour couvrir leurs émissions. L’objectif est de les inciter à investir dans la transition afin de réduire le coût du CO2, aujourd’hui à environ 50€ la tonne.
Dans ses nouvelles propositions, la Commission propose d’inclure dans l’ETS le secteur maritime et de mettre sous tension ce marché. Pour cela, elle entend réduire progressivement le nombre de permis à polluer et de quotas gratuits à partir de 2023. Le but est d’augmenter le prix de la tonne de CO2.
Elargir le marché carbone européen
La Commission souhaite également introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour l’ETS. Bruxelles propose que les importations des secteurs les plus polluants soient graduellement soumises aux règles de l’ETS. Ces secteurs sont l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais et l’électricité.
A terme, les importateurs devront payer « un ajustement aux frontières » équivalent à la taxe à due pour les biens produits dans l’UE. Cet ajustement sera mis progressivement en place entre 2026 et 2036. L’idée est d’éliminer toute concurrence étrangère « déloyale » et de dissuader les délocalisations. La Commission propose également de dédier 100% des revenus du marché carbone à la transition écologique.
Le Réseau Action Climat dénonce le fait que la Commission prévoit de maintenir des permis à polluer gratuits pour l’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie…) entre 2026 et 2036. L’association alerte sur le maintien d’un « statu quo dangereux pour le climat« .
Les exportations de Russie, Turquie, Chine, Ukraine et des Balkans seraient les plus touchées par cet ajustement. En revanche, il épargne largement l’Amérique du Nord. Pour contrer les accusations de protectionnisme, la Commission a précisé qu’il s’agit d’un « ajustement aux frontières » et non d’une taxe. Le gouvernement français salue ce projet qui représente « un changement culturel majeur en Europe et une avancée diplomatique réelle« .
La Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) estime quant à elle que ce mécanisme a une portée limitée. Selon cet organe subsidiaire des Nations unies, il ne devrait réduire que de 0,1% les émissions mondiales de CO2. Dans un communiqué, la Cnuced fait part de sa préoccupation quant aux effets négatifs de ce mécanisme sur les exportations des pays en développement.
Un second marché carbone controversé
La Commission propose de créer un second marché du carbone européen pour le chauffage des bâtiments et le transport routier. Les fournisseurs de carburants pour le transport routier ou de fioul domestique pour le chauffage résidentiel devront acheter des « permis à polluer » pour compenser leurs émissions. Cette mesure est certainement la plus controversée de ce plan climat. ONG et élus de tous bords pointent le risque d’injustice sociale et d’effet « gilets jaunes » face à l’augmentation prévisible des factures des ménages.
La plupart des États membres n’y sont pas favorables. Et ce malgré la proposition de créer un fonds social pour le climat. Il permettrait de compenser l’effet du dispositif sur les ménages les plus vulnérables. Ce fonds serait doté de 72 milliards d’euros sur sept ans. « La France est réservée sur la pertinence de ce dispositif et ses conséquences sur les ménages et les petites entreprises. Elle poursuivra les échanges pour s’assurer que la justice sociale et la solidarité demeurent au cœur de l’action climatique« , a déclaré le gouvernement français.
« La volatilité du prix du CO2 pourrait conduire à faire exploser la facture énergétique, augmentant les inégalités et la précarité des ménages déjà modestes« , écrit sur son site le Réseau Action Climat. Un rapport de l’Institut d’économie de Pologne estime l’augmentation de la facture énergétique. Selon lui, le coût annuel potentiel pour chaque ménage est estimé à 373€ pour les transports et 429€ pour les bâtiments résidentiels.
Le 16 juillet, deux jours seulement après les annonces européennes, la Chine a lancé le plus grand marché carbone au monde. Le pays est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre. Mais c’est aussi celui qui investit le plus dans les énergies nouvelles. La Chine a pour objectif de parvenir à la neutralité carbone en 2060.
Jérémy Hernando