La station de ski des Saisies est présentée comme « le grenier à neige de la Savoie ». Face à l’évolution de l’enneigement naturel et des conditions météorologiques, le changement climatique impose à la station de s’adapter. Objectif : mieux prévoir la production de neige de culture et concentrer les nouveaux aménagements sur les hauts de domaine.
Selon Météo France, la moyenne des chutes de neige depuis 1982 sur le massif du Beaufortain et le Val d’Arly, à la limite des départements de la Savoie et de la Haute-Savoie, est supérieure à celle des massifs environnants. L’altitude, la proximité avec le Mont-Blanc et l’exposition sont propices aux tombées de neige. En plus, une dizaine de centimètres suffisent pour skier sur les pistes qui recouvrent en hiver les pâturages bien entretenus par les alpagistes en été. La station se proclame ainsi comme « le grenier à neige de la Savoie ».
Malgré tout, la station de ski des Saisies, dans le massif du Beaufortin, voit déjà les effets du réchauffement climatique. Michaël Tessard est directeur de la régie SPL Domaines Skiables des Saisies. Cette société privée détenue à 100% par les Communes support du domaine skiable exploite et aménage le domaine skiable. Elle est ainsi en charge des remontées mécaniques, de la sécurité des pistes, du damage et de la production de neiges. Alors que les domaines skiables ont partagé le 2 octobre 2020 une feuille de route environnementale de 16 éco-engagements pour préserver la montagne, comment la station prend-elle en compte le réchauffement climatique ? Entretien.
Natura Sciences : Voyez-vous déjà les effets du réchauffement climatique?
Michaël Tessard : Effectivement, on constate que le climat évolue sur notre domaine. On observe par exemple de plus en plus de phénomènes d’inversion de températures : il fait plus froid dans les vallées qu’en montagne. Ces conditions anticycloniques nous empêchent plus fréquemment de faire fonctionner les enneigeurs. Les températures sont alors trop élevées, alors que les enneigeurs nécessitent une température maximale de – 2°C pour fonctionner. Ce phénomène s’accentue depuis quelques années. En plus, la limite pluie-neige a tendance à remonter en altitude.
Les fenêtres de froid permettant la production se réduisent. Le réchauffement climatique nous impose donc, de plus en plus, d’avoir des installations capables d’enneiger le plus rapidement possible. Aujourd’hui, le but est d’avoir une puissance disponible instantanée la plus forte possible. Notre installation nous permet de transformer un peu plus de 2000 m3 d’eau par heure, sachant qu’un mètre cube d’eau permet de produire deux mètres cubes de neige. Les plus grosses stations alpines disposent d’installations jusqu’à 4500 m3 d’eau par heure. Pour faire simple, on dit aujoud’hui qu’il faut être capable d’assurer l’enneigement des pistes stratégiques en 100 heures de fonctionnement de nos installations.
Avez-vous observé des problèmes d’enneigement l’hiver dernier ?
Aujourd’hui, il n’y a pas de difficulté particulière. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre d’éluder la problématique et nous nous devons d’anticiper les évolutions climatiques à venir. Les limites apparaissent vers 1000-1200 mètres d’altitude. Notre coeur de station est à 1600 mètres. Nous avons de la chance car notre position vis-à-vis du Mont-Blanc fait de notre domaine skiable un piège à neige. Le jour où il n’y aura plus assez de neige aux Saisies, il y aura déjà eu d’importants problèmes ailleurs.
La dernière saison est symptomatique, nous n’avons pas eu de difficulté majeure. En effet, il y a eu de la neige dès le début de la saison. On a même réussi à ouvrir les deux week-end précédents l’ouverture officielle, car on a eu de grosses chutes de neige en démarrage de saison. En décembre et en janvier, il y a eu des températures entre 0 et 2°C, mais qui n’ont pas entraîné une fonte importante du manteau neigeux. Cela n’a pas été problématique, car il y avait assez de neige. Mais à l’avenir, en absence de neige, ce sont des périodes où l’on ne pourra pas forcément faire fonctionner nos enneigeurs. Et ça, c’est inquiétant. S’il manque de la neige par endroits, on ne pourra pas la fabriquer.
Le plus problématique est le rythme des saisons. Il y a quelques dizaines d’années, l’hiver commençait en novembre et il pleuvait rarement en décembre et en janvier. Désormais cela arrive de plus en plus souvent. En janvier, on a eu des chutes de neige très basses à moins de 1000 mètres. Deux jours après, il faisait 10°C sur les pistes et il pleuvait à plus de 2000 mètres d’altitude. Cela n’est pas bon pour la qualité de la neige. On passe d’un phénomène à l’autre en permanence, mais cela ne pèse pas encore sur notre modèle au niveau des Saisies. Cela est toutefois déjà compliqué pour certaines stations de basse altitude.
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Comment prenez-vous en compte les effets du réchauffement climatique dans l’aménagement de la station?
Nous travaillons sur plusieurs sujets. Tout d’abord, nous raisonnons désormais « aménagement » sur les deux saisons touristiques, l’été et l’hiver. Par exemple, notre nouveau télésiège va fonctionner sur ces deux saisons. On monte en puissance sur la fréquentation estivale, car c’est un sujet d’avenir avec les potentielles difficultés liées à l’enneigement.
Par ailleurs, les schémas directeurs d’aménagement actuellement à l’étude vont plutôt concentrer les aménagements sur les hauts de domaine pour garantir notre produit. Alors que les espaces débutant sont généralement sur les fronts de neige, en bas de domaine, on réfléchit à les mettre sur des points hauts. Le domaine est réparti entre 1200 mètres et 2000 mètres d’altitude. On va concentrer nos efforts à partir de 1500 mètres, parce qu’en dessous, cela devient risqué. Une remontée mécanique installée aujourd’hui est financée chez nous en 15 ans, amortie sur 20 ans. Notre plan d’investissement est sur 30 ans donc il faut forcément considérer le sujet.
Peut-on voir des effets bénéfiques pour la saison estivale?
Les stations vont s’adapter et proposer d’autres produits si besoin, mais ne vont pas disparaître. La montagne a le vent en poupe et le réchauffement climatique peut avoir l’effet inverse. Ce qui est le défaut de l’hiver peut être une force sur le reste de l’année. S’il y a des canicules partout en été, les urbains viendront à la montagne se réfugier au frais !
Les Saisies comptent 17.500 lits. Nous continuons à bâtir de nouveaux bâtiments, car il y a de la demande. Sur cette saison hivernale, nous estimons que nous terminerons à 850 000 nuitées. Sur une année, environ 30% de nos nuitées se font déjà en été. Nous nous devons aussi de renforcer nos activités proposées à notre clientèle sur la saison estivale pour en disposer en saison hivernale dans le cas de problématiques d’enneigement.
Propos recueillis par Matthieu Combe, journaliste de Natura Sciences