La France va détruire une partie de ses stocks d’ivoire ce jeudi 6 février sur le Champ de Mars à 11h00. L’ivoire sera broyé, puis incinéré dans une cimenterie. Pourquoi cette destruction d’ivoire ? Où en est le commerce de l’ivoire ? Depuis 1978, date des premières réglementations d’ivoire en France, l’association Robin des Bois estime à au moins 17 tonnes, l’ivoire total saisi dans le pays.
Début juillet 2013, l’association Robin des Bois a demandé au Gouvernement français de l’ivoire stocké sur le territoire. Fin septembre, la requête avait été refusée, mais en novembre, le Ministère de l’Ecologie faisait savoir à l’association que les stocks seraient finalement détruits. « Il y a eu un renversement total de la doctrine de la France sur cette question », explique Jacquy Bonnemains, Président de Robin des Bois. Par le passé, s’il y a eu quelques destructions de produits à base d’ivoire suite aux saisies, cela n’était pas la règle. La doctrine française était plutôt de stocker cet ivoire, et d’utiliser de petites quantités d’ivoire à des fins pédagogiques dans des musées et des expositions, des formations ou à des fins de recherche. La plus grosse destruction date de 1989, lorsque 720 défenses ont été détruites par broyage à Roissy sur demande du Ministère des Finances.
Les règles vont changer. « Cette destruction des stocks va aussi être accompagnée d’une doctrine claire sur la destruction au fur et à mesure des futures saisies » précise Charlotte Nithart, Directrice de Robin des Bois. Cela s’accompagne d’un véritable plan coordonné de lutte contre le trafic des espèces menacées, notamment : multiplication par dix des peines encourues, augmentation des moyens et renforcement des liens avec Interpol et les Nations-Unies.
Pourquoi détruire l’ivoire et non pas le revendre ?
Il y a eu de grosses pressions sur les éléphants jusqu’en 1989, date de l’interdiction internationale du commerce de l’ivoire. Les populations ont eu quelques années pour souffler. Mais en 1997, il y a eu une réouverture partielle du commerce de l’ivoire depuis l’Afrique Australe. Certaines populations du Zimbabwe, du Botswana et de Namibie ont été déclassées de l’Annexe I (commerce international interdit) vers l’Annexe II de la CITES (commerce réglementé). Au total, deux ventes uniques ont été autorisées pour quelques centaines de tonnes.
En 2000, c’était au tour de l’Afrique du Sud de procéder à ce déclassement. « Il y a eu des quotas d’attribués de vente de stocks d’ivoire gouvernementaux vers des importateurs uniques, agréés au Japon et en Chine », explique Charlotte Nithart. Depuis 1997, le message passé aux braconniers semble être « le commerce international de l’ivoire est réouvert », accompagné du message déculpabilisant pour les consommateurs « il y a de l’ivoire légal » et la situation facilite le « blanchiment de tout l’ivoire illégal qui passe dans le circuit, notamment à travers des vendeurs dûment agréés par les gouvernements et qui écoulent de l’ivoire illégal », éclaire la Directrice de Robin des Bois.
« L’ivoire légal a ouvert la porte à l’ivoire illégal » simplifie Jacquy Bonnemains. Si les conflits en Afrique ont été un terreau important pour le développement du trafic d’ivoire, c’est la demande asiatique pour les parures animales précieuses, signes extérieurs de richesse, qui crée le marché.
Le résultat est que depuis quelques années, le trafic de l’ivoire explose à nouveau : 20 000 à 35 000 éléphants seraient tués chaque année pour leur ivoire. « Si tous les gouvernements n’envoient pas des messages forts aux braconniers et aux consommateurs, notamment en brûlant des stocks et en multipliant les peines encourues et leur application, d’ici quelques décennies, il n’y aura plus d’éléphants », prévient Charlotte Nithart.
Face à la recrudescence des vols et du trafic de l’ivoire, le gardiennage des stocks demande aussi de plus en plus de moyens pour lutter contre les vols. « De plus en plus de gens qui devraient protéger les éléphants, garder les stocks d’ivoire cèdent à la tentation et basculent du côté du trafic : c’est notable au Vietnam, en Afrique, et les vols de pièces en ivoire se multiplient ». Par exemple, deux défenses données au gouvernement des Etats-Unis en 1954 ont été volées à Washington l’année dernière. Voici une raison supplémentaire pour détruire les stocks et éviter qu’ils attirent les voleurs, estime l’association. Robin des Bois appelle donc l’ensemble des autres pays européens à brûler leurs stocks et à harmoniser leurs moyens d’enquête pour démanteler les trafics.
Il est d’autant plus important de lutter contre ce trafic qu’il présente des ramifications avec d’autres réseaux. « Il y a une prise de conscience partagée que le trafic d’ivoire, de cornes de rhinocéros, de peaux de tigres est associé à des trafics d’amphétamines, de cocaïne, d’armes, d’êtres humains et que c’est devenu un vecteur de violences en Afrique et en Asie » dévoile Jacquy Bonnemains.