La Convention citoyenne pour le climat prendra fin ce dimanche. À cette occasion, Claire Morcant, l’une des 150 citoyens, dresse un bilan contrasté de son expérience dans un entretien exclusif pour Natura Sciences. Elle est fière du travail effectué au long des derniers mois. Cependant, elle regrette amèrement que plusieurs mesures fortes ne soient pas retenues.
Claire Morcant fait partie des 150 citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat. L’expérience inédite s’achèvera dimanche 28 février. En y repensant, cette Marseillaise de 49 ans, fonctionnaire territoriale au sein de la Métropole Aix-Marseille, nourrit quelques déceptions. Pour plusieurs de ces citoyens, le projet de loi Climat et Résilience ne retranscrit pas les ambitions premières de leurs 149 propositions.
Natura Sciences : Comment vous, les 150 citoyens dont vous faites partie, percevez le projet de loi Climat et Résilience ?
Claire Morcant : Dans l’ensemble, il y a une certaine insatisfaction. En tout cas, moi je suis insatisfaite. Pas mal de mesures sont écrêtées, ou reculées dans le temps. Et finalement, elles n’ont pas l’ambition initiale. C’est également le sentiment que partagent plusieurs institutions comme le Haut Conseil pour le Climat ou le CESE. Mais je garde tout de même en tête que des choses se sont faites. Si la Convention n’avait pas eu lieu, peut-être qu’il n’y aurait même pas ce projet de loi.
Qu’espérez-vous aujourd’hui pour les propositions de la Convention citoyenne ?
Même si certaines mesures sont minimisées, elles ont le mérite d’être là. Elles sont vivantes. Donc on espère que les parlementaires vont les augmenter et leur redonner l’ambition d’origine.
Parmi les mesures minimisées, quelles sont celles qui cristallisent votre déception ?
La publicité. Parce que clairement, c’est fondamental. Si on continue à nous nourrir de publicités qui sont incohérentes ou qui vantent le contraire de ce qu’on essaie de mettre en place au niveau national, cela n’a pas de sens. Il en va de même pour l’isolation des logements [qui ne concerne que les passoires thermiques occupées par des locataires, NDLR]. Symboliquement, c’est aussi un mauvais signal.
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C’est la même chose pour le transport aérien. L’interdiction des vols domestiques concerne les lignes où il y a une alternative en train en moins de 2h30. De ce fait, cela ne concerne plus que dix lignes nationales. Je ne vais pas dire que ça ne sert à rien, mais c’est décevant. Idem pour la limitation de la vitesse à 110 km/h. C’est dommage car c’est une mesure implacable. Elle aurait un impact fort sur les émissions de gaz à effet de serre. Elle n’a pas été reprise, certainement à cause d’une crainte politique de M. Macron.
Avec enthousiasme, Barbara Pompili a affirmé le 25 février dernier que vous alliez laisser « un héritage démocratique et écologique considérable ». Partagez-vous son opinion ?
La majeure partie d’entre nous ne comprend pas. Il y a vraiment un décalage entre le ministère de la Transition écologique et Barbara Pompili, et nos propositions. Cela suscite chez nous un agacement qui transparaît lors des discussions. C’est étrange de penser comme ça. Surtout pour une ministre qui a milité durant des années. Qu’elle-même puisse être satisfaite, c’est étrange. Quand on arrive au gouvernement on n’est plus militant, on devient ministre. Le pouvoir de la politique est parfois plus fort que les convictions personnelles.
En juin dernier, vous étiez reçus en grande pompe dans les jardins de l’Élysée. En pleine vague verte des élections municipales, cette rencontre laissait naître de grands espoirs pour le climat. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Le soufflé est retombé. Mais après, on n’était pas dupes non plus. Le soleil, les jardins, la mise en scène. Tout le monde avait le sourire. Mais on savait que tout n’allait pas passer sans filtre. C’était trop beau pour être vrai. Je ne voyais pas comment le président pourrait le faire. D’ailleurs, il l’a bien démontré.
À quoi étaient liés vos doutes ?
Ils sont survenus face à la posture d’Emmanuel Macron, dès notre première rencontre en janvier 2020. Je me souviens avoir posé une question sur le CETA. Je le questionnais au sujet d’un moratoire sur ce traité qui va à l’encontre des objectifs climatiques. Et sa réponse, qui a duré près de vingt minutes, n’a pas été satisfaisante du tout. Il nous a répondu que c’était [François] Hollande, que ce n’était pas de sa faute. Il nous a aussi dit que c’était trop tard, que c’était enclenché. Pour moi, dire « ce n’est pas moi, c’est les autres », c’est une réponse d’enfant.
Avez-vous eu l’impression qu’Emmanuel Macron vous a instrumentalisés ?
(Elle rit.) Un petit peu, oui. C’est comme ça que je le ressens. Mais la Convention a formé 150 citoyens qui sont maintenant impliqués. Emmanuel Macron a fabriqué 150 citoyens qui ne vont pas voter pour lui en 2022. Pour nous les 150, et pour moi en particulier, il a créé des gens qui vont rallier des causes contre lui. On s’est rendus compte que derrière l’image toute lisse et jolie, il y a une manipulation du peuple. Or, personne n’aime être manipulé. Aujourd’hui, il y a 150 Français en colère qui sont devenus militants pour le climat.
Emmanuel Macron avait utilisé des jokers pour éliminer trois de vos 149 propositions. Si aujourd’hui c’était au tour des citoyens d’utiliser ces trois jokers, quelles mesures feriez-vous passer en priorité ?
Alors là, c’est la question à 10.000 dollars ! Je ferais passer les 149 propositions parce qu’elles font écho les unes aux autres. C’est la seule façon d’arriver à cette réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre. Ceci est d’autant plus essentiel que l’Europe a fixé une barre plus haute à -55%. C’est donc l’ensemble qui devrait être pris sans filtre. Et là ce serait cohérent. Si on prend des mesurettes, on n’y arrivera jamais.
L’application de toutes ces mesures est-elle réellement possible ou relève-t-elle de l’utopie ?
Ah non, c’est vraiment possible ! On a sorti ces 149 propositions après des semaines de formation avec les meilleurs experts français et mondiaux. Il n’y a pas d’utopie. C’est juste une volonté politique à avoir. Le climat, ce n’est pas une opinion, c’est un fait scientifique. C’est une information et une formation qu’il faut absolument transmettre aux Français. Lors des élections municipales, j’ai senti les prémices d’une prise de conscience politique. De nombreux Français ont voté ni à droite ni à gauche pour soutenir des programmes différents. Une autre politique est possible.
Quelle va être la suite des événements pour vous et les autres citoyens ?
Je vais continuer mon action auprès de l’association Les 150 dont je suis la trésorière. Elle marche bien, et je suis convaincue que la plupart des membres de la Convention citoyenne souhaite continuer. C’est en nous maintenant.
Propos recueillis par Chaymaa Deb