La catastrophe de Seveso restera comme l’un des accidents industriels les plus mal gérés en Europe. Retour sur cette nuit du 10 juillet 1976.
Voici le récit de la catastrophe de Seveso. Nous sommes dans l’usine chimique ICMESA, appartenant à la société suisse Givaudan (groupe Hoggmann-Laroche). Sur le territoire de Meda en Italie, elle se trouve juste à côté de la petite ville de Seveso. Le 10 juillet 1976, dans le hangar B de l’usine, la cuve 101 engendre l’émission soudaine d’un nuage chimique rouge. Au bout de quatre jours, les laboratoires Hoffmann-Laroche identifient l’agent responsable : le 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxine (TCDD). [1] Or, le 12 juillet, le travail reprend normalement dans l’usine. Après la mise en grève du personnel le 16 juillet, l’usine ferme le 18. Finalement, les laboratoires Hoffmann-Laroche ne communiquent l’émission de TCDD aux autorités que le 19 juillet.
Jusqu’au 23 juillet, la population continue à vivre dans un milieu contaminé. Ce jour, le Centre de recherche médicale de Roche, à Bâle, sonne l’alarme. Il appelle à évacuer la population, à détruire les maisons et à enterrer l’usine. D’abord, l’armée entoure de barbelés 12 hectares de terrain. Puis, le 26 juillet, l’évacuation des premiers habitants commence. 225 personnes quittent alors leur maison. Les jours suivants, les autorités se rendent compte que la zone touchée est plus vaste. Ils évacuent donc 500 nouvelles personnes. Ensuite, le directeur général de Givaudan reconnaît qu’il n’existait aucun plan d’urgence. [2] Il semblerait que l’aire touchée s’étale sur environ 2,8 km2. [3] Quoiqu’il en soit, la quantité de TCDD relâchée par l’accident fait encore débat. Selon les différentes études, la quantité estimée de dioxine rejetée à l’atmosphère varie entre 0,2 et 40 kg. [4]
Les conséquences immédiates de la catastrophe de Seveso
Immédiatement, la catastrophe de Seveso engendre des signes de risques. À première vue, les végétaux, les oiseaux et les animaux de cours sont sérieusement affectés. Par ailleurs, les personnes se trouvant sur le chemin du nuage développent des nausées, des maux de tête, des irritations des yeux. Rapidement, les hôpitaux admettent des enfants dans les hôpitaux des communautés locales pour des lésions de peau sur différentes parties du corps.
Au global, la contamination touche environ 20 000 ha de sols. Immédiatement après l’accident, des niveaux de TCDD atteignaient des valeurs de quelques milligrammes/kilogrammes, alors que pour la nouvelle végétation des années suivantes, les taux diminuaient de plusieurs ordres de grandeur. [5]
Peu après le début de la catastrophe de Seveso, les experts constatent une augmentation de décès chez les animaux sauvages et domestiques. La plupart était des petits herbivores, notamment des lapins et des volailles. [6] Les les animaux d’élevage nourris avec des aliments provenant des zones contaminées souffrent d’un taux de mortalité proche de 100%.. Néanmoins, les animaux nourris d’aliments commerciaux ou provenant de zones non contaminées connaissent une mortalité beaucoup plus faible. Par ailleurs, la mesure du TCDD dans le lait de vache montre des taux plus importants pour les fermes proches de l’usine. [7] Tout compte fait, un petit nombre des animaux survivants a été évacué pour être étudié (86) pendant que le reste (77 716) a été abattu par précaution, pour les laisser en dehors de la chaîne alimentaire.
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3 zones pour un suivi simplifié
Pour établir le niveau d’exposition et l’étendue de la contamination, aussi bien que le comportement et le destin de la dioxine dans l’environnement, un programme de suivi de large envergure se met en place. Les experts surveillent la qualité du sol entre 1976 et 1986. Des milliers d’échantillons ont été analysés, ce qui a permis l’élaboration d’une carte de la distribution de TCDD et de son comportement en fonction du temps. [8] D’après ces mesures, trois zones, avec des niveaux décroissants de TCDD, ont été identifiés [9]:
Zone A, couvrant 110 ha sur les communes de Meda et de Seveso. La contamination y est la plus forte, avec des niveaux de TCDD allant de 15,5 à 580 µg/m2. L’évacuation des 736 habitants de cette zone s’achève à la fin du mois de juillet.
Zone B, couvrant 270 ha sur les communes de Cesano, Maderno et Desio. Les taux n’excédent pas 5 µg/m2 en moyenne. Début août, les autorités appellent les enfants de moins de 12 ans et les femmes enceintes à quitter cette zone durant la journée. En parallèle, elles interdisent les activités de culture, d’élevage et de production.
Zone R (de « respect » ou de prudence), s’étendant sur 1 430 ha. Les taux de dioxines sont sous les 1,5 µg/m2. Les autorités interdisent les cultures et l’élevages sont interdits, et limitent les constructions.
De multiples effets sur la santé humaine
Il n’y a pas vraiment eu de suivi des effets immédiats et à court-terme de l’exposition à la dioxine suite à l’accident. Les conditions intenses dans la zone d’étude compromettaient la validité de plusieurs investigations, quelle que soit la précision avec laquelle elles étaient menées. Le manque de participation, de données de référence et de standardisation des méthodes utilisées ont limité le nombre de résultats concluants.
Pour identifier les personnes exposées, les médecins guettaient les cas de chloracné pouvant apparaître. Si cette maladie n’est pas mortelle, elle laisse des cicatrices profondes sur la peau. En avril 1977, un panel d’expert avait diagnostiqué 187 cas de chloracné manifeste. Parmi eux, 164 étaient des enfants. [10] Les enfants nés entre 1977 et 1982 ont été examinés pour étudier la présence de malformations congénitales. Les résultats n’ont pas montré un risque accru de défauts de naissance. [11] Cependant, une modification du ratio sexuel, avec un excès de filles, a été observée entre 1977 et 1984 parmi les enfants nés de parents présentant des taux importants de TCDD en 1976. Ceci provient vraisemblablement de modifications de l’équilibre hormonal engendrées par la dioxine ou un effet sur les gènes contrôlant le sexe. En 1984, le gouvernement conclut que la chloracné est le seul effet certain sur la santé.
Suivre les effets sur le long terme de la catastrophe de Seveso
Des études sur le long terme ont été menées en engageant les personnes résidant dans les trois zones contaminées suite à l’accident. Elles ont comparé leur évolution avec la population vivant dans les territoires environnant non contaminés. Cette population référente partageait les mêmes caractéristiques sociales, habitudes culturelles et de vie que la population exposée. [12] Le taux de mortalité total, toutes causes confondues, ne diffère pas de façon significative entre les 3 zones et la population de référence. Cependant, lorsque l’on regarde les causes des décès plus en détail, quelques cas inhabituels ont été observés pour certaines sortes de cancers. Les cas les plus flagrants se retrouvent dans la zone A.
Vivre dans les différentes zones après l’accident ne semble pas impliquer une exposition supplémentaire. Aucun des résidents de la zone B n’a montré une augmentation du taux de TCDD en fonction du temps. Et aucune quantité de TCDD détectable n’a été trouvée dans un échantillon de personnes qui sont entrées dans les zones après l’accident. [13]
De lents travaux de décontamination
Les travaux de décontamination commencent 6 mois après la catastrophe de Seveo. Ils dureront plus de 5 ans. L’étude de couches de sols plus profondes, a montré que le gradient vertical variait très faiblement avec le temps. Environ 90% du TCDD détectable se retrouvait dans les 15 premiers centimètres du sol en 1977, et aucun changement significatif n’a été observé ensuite. [14] Cette information a guidé tout le processus de remise en état.
Dans la zone A, la dépollution a consisté à retirer toute la couche superficielle du sol (au moins 25 cm) et à la remplacer par de la terre non contaminée. L’intégralité du réseau routier et des trottoirs a été renouvelé et revêtu d’asphalte ou dalle de pierre. En zone B, la réhabilitation a consisté au retrait du sol uniquement dans les jardins publics et privés. Enfin, dans le territoire restant, le sol a été traité en labourant, en hersant et en ensemençant pour diluer le TCDD et favoriser sa dispersion. [15]
La zone A comme zone de stockage des déchets
La terre superficielle des zones contaminées, les constructions abattues et les dépouilles des animaux atteints sont ensevelies en zone A. Elles finissent dans deux bassins en béton étanches d’une capacité totale de 200 000 m3. Un puits de drainage permet d’en extraire l’eau pour l’analyser avant rejet dans le milieu naturel et un programme de contrôle permet de vérifier la stabilité des deux bassins. Les tests analytiques après les opérations de lavage n’ont pu détecter aucune trace de TCDD. Finalement, en juillet 1977, 511 personnes de la zone A peuvent regagner leurs domiciles et l’agriculture reprend en zone R.
Un programme de décontamination pour les maisons, les jardins et autres terrains des parties les moins contaminées de la zone A a été mené par le groupe Givaudan. L’intérieur et l’extérieur des maisons ont été lavés avec des aspirateurs spéciaux, et finalement repeints.
Que faire du cœur de la catastrophe?
Le cœur de la zone A, avec des taux de TCDD de 150-5000 µg/m2 reste condamnée durant 6 ans derrière des barrières. En plus, ce cœur a été utilisé comme zone de dépôt pour les déchets des autres zones jusqu’en 1982. À partir de 1982, les autorités démantèlent l’usine et scellent 41 barils. Elles extraient et décontaminent les équipements. Puis, elles nettoient les locaux et les sols et les repeignent pour fixer d’éventuelles poussières contaminées. Ensuite, elles démolissent l’usine à l’aide de bulldozers et sous nébulisation constante d’eau pour prévenir la formation de nuage de poussières. Enfin, elles ensevelissent tous les gravats et la terre située sous l’usine (jusqu’à 1 m de profondeur) dans le deuxième bassin.
En Août 1982, les 41 fûts prennent la route pour l’usine Ciba de Bâle en vue de leur incinération. Mais leur trace se perd après le passage de la frontière et ils disparaissent. On les découvrira en mai 1983 à Anguilcourt-le-Sart (Aisne) dans un abattoir désaffecté. Ils seront enfin incinérés en novembre 1985. En 1984, la dépollution s’achève en zone A et la zone B redevient constructible. Aujourd’hui, la commune de Meda a construit un complexe sportif sur le site de l’usine. Et un parc naturel recouvre désormais à Seveso le secteur contaminé attenant à l’usine, où les déchets contaminés se trouvent sous terre.
Auteur : Matthieu Combe, journaliste du magazine Natura-sciences.com