Le Black Friday, c’est officiellement le vendredi 26 novembre. Mais l’association Zero Waste France estime que cette opération commerciale nationale est illégale, suite à l’entrée en vigueur de l’article 12 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Celui-ci visait à interdire le Black Friday, un événement à mi-chemin entre les soldes réglementés et les promotions ponctuelles libres.
Cette année encore, l’événement s’apprête à faire son grand retour dans la plupart des magasins. Une pratique tout droit venue des Etat-Unis. « À l’origine le Black Friday avait lieu le lendemain de Thanksgiving, soit le dernier vendredi du mois de novembre. Les enseignes proposaient de très fortes réductions, surtout sur l’électroménager. Les américains en profitaient pour faire une grande partie de leurs achats de noël. Désormais, le phénomène est arrivé en France. Il se déroule souvent sur plusieurs jours et ne se cantonne plus à l’électroménager. Les secteurs les plus concernés sont l’électronique et le textile. Ce sont pourtant deux des industries les plus polluantes de la planète en raison des modes de fabrication des produits, des matières premières et des ressources qu’elles demandent », dénonce Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques pour Zero Waste France.
Des personnes se ruent dans les magasins à peine les portes entrouvertes. Des gens se piétinent pour être les premiers à décrocher un téléviseur en promotion. Les images du Black Friday ont souvent fait le tour de la planète. « Le Black Friday génère des comportements choquants en termes de consommation. Les marchands bombardent les consommateurs d’incitations à acheter de nouvelles choses, mais surtout à acheter vite puisque les promotions ne durent que quelques jours. Et du coup, ils ne se posent même plus la question du besoin, qui doit normalement précéder l’acte d’achat, c’est la réduction qui motive la vente », rappelle Alice Elfassi.
Le Black Friday, entre soldes et promotion ponctuelle
En France, la loi réglemente les périodes de soldes. Elles se déroulent sur des dates officielles, définies par un arrêté du ministre de l’économie. « En France, on a une réglementation qui définit les périodes de soldes qui peuvent se dérouler dans tous les magasins, sur tout le territoire. Mais il y a eu un gros glissement parce que la réglementation est lacunaire. En effet, elle n’encadre pas les promotions qui peuvent être organisées ponctuellement, à l’initiative d’un commerçant ou d’une entreprise », souligne la responsable juridique de l’association.
Le Black Friday échappe donc, pour l’instant, à cette règle. Il ne s’agit pas d’une période de soldes décidée par le ministère et encadrée par la loi, mais l’événement est tout de même national. « C’est ce qui est un peu pervers avec le Black Friday. Ce ne sont pas juste des promotions organisées à l’initiative d’un commerçant ponctuellement. C’est vraiment un événement national, annuel, organisé partout. Il a un nom, il est repris par quasiment toutes les enseignes, et engendre une surconsommation. C’est ce qu’on entendait par les soldes normalement réglementées à seulement deux périodes dans l’année », dénonce Alice Elfassi.
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Que dit la loi anti-gaspillage ?
Dans le cadre de la loi anti-gaspillage du 10 février 2020, les parlementaires ont voté un article de loi alors surnommé « Black Friday« . Celui-ci avait pour but de lutter contre la surconsommation engendrée à l’occasion de cet événement. L’article en question (article 12) de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) est entré en vigueur le 12 février 2020. Il prévoit l’interdiction “dans une publicité, de donner l’impression, par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celle des soldes”, en-dehors des périodes de soldes définies par la loi.
« Aujourd’hui on nous dit: ah non en fait cet article, ce n’est pas du tout ce qu’il a voulu dire, parce que de toute façon on ne peut pas encadrer les promotions. Or, la loi voulait bien ‘interdire le Black Friday en tant qu’opération nationale. Pas simplement comme promotion ponctuelle. C’est là qu’il y a un véritable enjeu de précision de la part des pouvoirs publics. Ils doivent préciser ce qu’il s’est passé avec cette loi. Pourquoi elle n’est pas appliquée et pourquoi on remet en cause sa portée et son message? », s’interroge la responsable juridique de Zero Waste France.
Le Black Friday illégal en France ?
« On peut toujours avoir une interprétation, comme pour beaucoup de textes qui ne sont pas suffisamment clairs et explicites. Le problème c’est quand on a d’un côté des pouvoirs publics et un parlement qui est censé représenter les citoyens, qui a voté une loi avec une intention très claire d’interdire cet événement au regard de son impact environnemental et social. Et de l’autre côté on a un ministre de l’économie qui nous dit qu’il n’a jamais été question d’interdire le Black Friday », dénonce Alice Elfassi.
Bruno Lemaire avait en effet déclaré sur le plateau de BFMTV, « le Black Friday c’est une opération promotionnelle d’ordre privé, je n’ai pas la possibilité de l’interdire ». Pour la membre de Zero Waste France, « c’est un marqueur assez dramatique en termes de démocratie et de conscience de la loi supposée être claire et compréhensible de tous, et là on s’aperçoit que même au sein de pouvoirs publics il y a une incompréhension totale ».
Vers la fin du Black Friday?
Pour alerter de la non application de cette loi, et tenter de clarifier le positionnement du gouvernement, Zero Waste France a écrit au Ministère de la Transition écologique et de l’Économie et des Finances. « Nous n’avons pas encore eu de retour, après ça ne fait que quelques jours. De toute façon, il n’y a pas vraiment d’espoir pour qu’il y ait une conséquence sur le Black Friday de cette année. On veut tout de même profiter de cette période, pendant laquelle l’événement fait toujours autant de bruit, pour alerter les pouvoirs publics et leur montrer qu’il y a un vrai défaut d’application de la loi », insiste Alice Elfassi.
Pour les prochains Black Fridays, « pour être honnête je dirais que l’espoir est modéré ». « L’espoir est plutôt dans le fait que les autorités répondent, qu’il expliquent ce que la loi veut dire si elle ne signifie pas l’interdiction du Black Friday, et voir éventuellement comment on pourrait la changer pour la rendre plus explicite », espère Alice Elfassi.
Pour l’instant, aucune enseigne n’a fait l’objet de contentieux en France pour avoir pratiqué le Black Friday. « Je pense qu’on pourrait tout à fait envisager de le faire. Je préfère toujours passer par la voix de la discussion. Et je considère que les pouvoirs publics ont un rôle de clarification de l’esprit de la loi. Les Ministères ont un rôle à jouer pour une communication claire auprès des différents acteurs. Après, si on n’obtient pas satisfaction dans ce cadre-là, on pourra demander une interprétation claire auprès du juge dans le cadre d’un recours », explique la membre de l’association.
L’influence de l’ultralibéralisme
En France, cette loi a tout de même le mérite d’exister. Ce n’est pas le cas dans les pays voisins. « Le mieux serait d’avoir une réglementation des promotions au niveau Européen. Mais l’Union Européenne bloque pas mal de choses au vu du libre échange. Le droit de l’Union Européenne impose la liberté du commerce, la liberté d’initiative privée. Donc avoir une loi qui limiterait ces promotions pourrait être jugé comme contraire au droit de l’union européenne. Sur ce genre de politiques environnementales, on reste bloqué par l’ultra-libéralisme. Ce serait pourtant un outils important pour lutter contre la surconsommation », déplore Alice Elfassi.
Dans l’Hexagone, l’article de loi surnommé “Black Friday” pourrait venir à être appliqué comme entendu lors de son vote. Cela n’empêcherait pas pour autant les consommateurs de commander sur internet. Pour la responsable juridique de l’association, « c’est bien tout le problème du système qu’on a créé, qui est complètement mondialisé maintenant qui permet, de toute façon, d’accéder à des produits du bout du monde sans problème ». « On ne pourra pas agir sur la réglementation des autres pays. À moins d’avoir une réglementation au niveau européen, ce qui serait une bonne avancée déjà. Après, c’est certain que sans une action au niveau international, pour limiter ce gaspillage, il y aura de toutes les façons un point de blocage ».
Ouns Hamdi