Entretien. Lucie Pinson a remporté le prix Goldman pour l’environnement pour la région Europe. Militante reconnue à la tête de l’ONG Reclaim Finance, son action s’attache à en finir avec le charbon et arrêter l’expansion des énergies fossiles.
Le 30 novembre, 2020 Lucie Pinson a remporté le prix Goldman pour l’environnement pour la région Europe. Ce prix créé en 1989 se présente comme « la plus importante récompense au monde dédiée aux militants engagés pour la protection de l’environnement et de la planète ». Lucie Pinson devient le quatrième Français lauréat de ce prix. Avant elle, il a été attribué à Claire Nouvian en 2018, Bruno Van Peteghem en 2001 et Christine Jean en 1992. Ce prix Goldman pour l’environnement récompense l’action de Lucie Pinson pour la fin des financements au charbon par les grandes banques, sociétés d’assurance et d’investissement au niveau international. Entretien.
Lucie Pinson : de Nantes au militantisme anti-charbon
Née à Nantes, Lucie Pinson suit des études en sciences politiques près d’Angers qui la mènent deux ans en Afrique du Sud. De retour en France, elle suit de près les mouvements altermondialistes et participe à l’organisation des contre-sommets G8 et G20. C’est alors qu’elle rejoint l’action des Amis de la Terre pour la justice sociale et environnementale. De 2013 à 2017, Lucie Pinson est chargée de campagne finance au sein de cette ONG. Elle pousse alors les banques françaises à se désinvestir du charbon.
En 2018, elle mène bénévolement des campagnes au nom des Amis de la Terre sur la responsabilité climatique des acteurs financiers français. En parallèle, elle rejoint le Sunrise Projet et coordonne la campagne Unfriend Coal (aujourd’hui appelée Insure our Future). Cette campagne appelle les assureurs à cesser leurs soutiens au charbon. Son travail porte ses fruits. En 2019, 43 banques et assureurs français gérant près de 7.000 milliards d’euros d’actifs avaient adopté de fortes restrictions au secteur du charbon. Enfin, elle fonde l’ONG Reclaim Finance en mars 2020, une organisation intégralement dédiée à la finance et au climat. Entretien.
Natura Sciences : Comment est-ce que le secteur financier finance l’industrie du charbon?
Lucie Pinson : Lorsque vous souhaitez acheter un logement, vous souscrivez un prêt auprès d’une banque. Vous avez aussi d’une besoin d’une assurance pour ce prêt, puis d’une assurance habitation. Vous pouvez en plus souscrire des assurances et des prêts à la consommation dans la vie de tous les jours. Pour les nouveaux projets de centrale ou mine de charbon, c’est à peu près la même chose. Ces projets font appel à des financements sous différentes formes et nécessitent un panel d’assurances. Les banques et les assurances jouent donc un rôle primordial. Sans assurance, aucune banque ne décidera de financer un projet, et sans financement, pas de projet.
Pour financer une centrale à charbon, un « package financier » est monté. Il comprend plusieurs types de financements : un financement de projet direct via un prêt, un financement d’entreprise qui prend la forme d’un prêt sans attribution à un projet précis, ou l’émission sur les marchés financiers d’actions ou d’obligations pour le compte de l’entreprise. Les centrales à charbon étant de plus en plus risquées d’un point de vue économique, financier et réputationnel, un nombre croissant de centrales à charbon ne sont plus financées par du financement de projet, mais par du financement d’entreprise. Cela permet aux banques de ne plus être exposées directement au risque. Elles jouent juste un rôle de facilitateur et n’ont plus d’implication affichée dans le projet.
Vous dîtes donc que les banques peuvent financer les centrales à charbon de façon détournée?
Un projet implique souvent plusieurs banques à travers un montage financier complexe. Une banque en particulier accompagne l’entreprise pour mener ce montage, démontrer aux acteurs financiers que le projet est rentable et trouver des co-financeurs. Lorsque la banque aide à émettre des obligations ou des actions, elle ne va pas détenir le risque dans son portefeuille. Il sera détenu par les investisseurs qui vont les acquérir. On comprend alors l’importance qu’il y a à arrêter les soutiens directs à des nouveaux projets mais aussi tous les autres services financiers. Le risque ne se manifeste pas partout de la même manière. Si le charbon n’est pas rentable sur le long-terme, un deal précis peut l’être sur une logique de très court-terme.
Les investisseurs qui détiennent des actions et des obligations peuvent désinvestir. Ce qui nous intéresse dans le désinvestissement, c’est l’engagement à ne plus investir, ne plus acheter d’obligation sur les marchés secondaires ni lorsqu’une entreprise émet de nouvelles obligations pour étendre ses activités. C’est un levier extrêmement intéressant, car les entreprises sont amenées à se financer de plus en plus via les obligations. En coupant l’accès à de l’argent frais, nous empêchons l’expansion dans un secteur.
Quelles victoires avez-vous obtenu grâce à vos campagnes ?
Nous avons mené campagne pendant plusieurs années pour que les acteurs financiers français excluent toutes les entreprises qui développent de nouveaux projets de centrale, de mine ou d’infrastructure dans le secteur du charbon, quelle que soit la part du charbon dans leur activité.
En 2017, quatre banques – BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et Natixis – avaient arrêté de financer de nouveaux projets. Mais elles avaient des mesures très minimalistes sur les entreprises. Nous avons alors mis la pression sur AXA et Scor, un assureur et un réassureur impliqués dans la couverture des risques du marché du charbon. En 2017, AXA et Scor ont été les premiers assureurs et réassureurs à dire non aux nouveaux projets de centrale à charbon et mines de charbon. Mais surtout, nous avons convaincu AXA à être le premier acteur financier au monde à exclure des entreprises en raison de leur activité absolue dans le charbon et en raison des leurs plans d’expansion dans le secteur. Les critères alors retenus étaient insuffisants mais constituaient une première. Cela a permis d’exiger des mesures similaires par les grandes banques françaises.
Natura Sciences : Quelle est la situation aujourd’hui?
Au niveau international, 43 banques et assureurs ont arrêté de financer les nouveaux projets liés au charbon. Au niveau français, tous les acteurs ont arrêté de financer des centrales à charbon. Nous avons surtout poussé les grandes banques et sociétés d’assurance à adopter des politiques de sortie globale du secteur du charbon comme l’ont fait Crédit Agricole et AXA en 2019. Dans ces politiques, ils s’engagent à arrêter progressivement de soutenir des entreprises qui développent des projets de mines et centrales à charbon et à exiger des autres l’adoption d’un plan de sortie du secteur du charbon.
Il y a encore beaucoup à faire chez Scor, Groupama, Covéa, etc. Pour les autres, l’enjeu est désormais moins sur les politiques adoptées que sur leur application. Notamment, l’enjeu est de faire en sorte que les entreprises à qui il est demandé d’adopter des plans de sortie du charbon ne soient pas encouragées à aller développer à la place du charbon d’autres activités tout aussi polluantes et néfastes pour la planète et les populations. La sortie du charbon doit être une opportunité pour aller vers les renouvelables. Et non vers le gaz ou la biomasse.
Plus largement, 232 institutions financières mondiales ont déjà restreint le financement, l’assurance et/ou l’investissement dans le charbon. Mais seulement 16 ont une politique ultra-robuste qui tient la route. Nous recommandons aujourd’hui l’adoption de plusieurs critères d’exclusion au niveau des entreprises. Des investisseurs français avec plus de 7.000 milliards de dollars d’actifs sous gestion ont intégré des politiques sur le charbon avec un ou plusieurs de ces critères. Au niveau international, cela monte à 14.000 milliards de dollars.
Le rapport « Insure Our Future » vient de paraître : quel bilan en retenir ?
Reclaim Finance a mené la notation des assureurs du rapport « Insure Our Future« . Lorsque l’on fait le bilan, près de 13% des assureurs sur le marché primaire de l’assurance et 48% sur le marché de la réassurance ont mis fin ou limité leur couverture aux projets charbon. Cela suffit à réduire la capacité d’assurance des petites et moyennes entreprises. Mais il reste beaucoup de travail à faire par exemple aux États-Unis avec Liberty Mutual, en Europe avec Lloyd’s of London ou en Asie avec Tokyo Marine pour ne citer que ces trois là.
Pour la première fois, nous avons aussi noté les politiques sur le pétrole et le gaz. C’est là que le bât blesse avec un bilan extrêmement mauvais, également pour AXA. Le géant français continue d’assurer de nouveaux projets parmi les plus sales, comme dans les gaz et pétrole de schiste. De plus, il s’est peut-être engagé à aligner ses investissements sur une trajectoire 1,5°C mais il continue d’investir dans des entreprises telles que Total qui nous dirigent tout droit sur une trajectoire à 3°C ou plus.
Vous souhaitez savoir si votre banque ou assureur a pris des engagements contre le financement du charbon? Reclaim Finance a créé le Coal Policy Tool. Cet outil note l’intégralité des politiques adoptées par les institutions financières au niveau international.
Propos recueillis par Matthieu Combe, journaliste de Natura Sciences