Les engagements des banques pour réduire leur financement au secteur pétrolier et gazier sont « insignifiants ». Voici la sentence prononcée par la directrice générale de l’ONG Reclaim Finance, Lucie Pinson.
Le secteur financier multiplie ces derniers mois les annonces d’engagements en faveur du climat. Toutefois, il ne convainc pas Lucie Pinson, directrice générale de l’ONG Reclaim Finance. La lauréate du prix Goldman pour l’environnement pour la région Europe aimerait convaincre la finance de diminuer ses financements aux énergies fossiles.
La Banque Postale est devenue la semaine dernière la “première banque au monde” à sortir des énergies fossiles d’ici 2030. Ce lundi, six banques françaises ont annoncé s’être mises d’accord pour ne plus financer, à partir de 2022, certains projets d’hydrocarbures non conventionnels. Parmi eux, on retrouve notamment le gaz de schistes. Pour Lucie Pinson, les annonces de ce lundi ne sont que “du réchauffé enrobé d’un plus grand flou”.
Reclaim Finance appelle les banques et assureurs à se désinvestir de toutes les énergies fossiles. L’ONG interpelle au moyen d’une publicité dans le Financial Times le PDG d’AXA, Thomas Buberl, chef de file de la Net-Zero Insurance Alliance, à s’engager à ne plus assurer de tels projets. Plusieurs nouvelles mesures pour le climat devraient intervenir le 26 octobre prochain lors du Climate Finance Day à Paris. Nous retranscrivons ci-dessous l’entretien de Lucie Pinson menée par notre partenaire AFP.
Oxfam vient de pointer l’augmentation de 2% des émissions carbone des banques par euro injecté dans l’économie entre 2017 et 2020. Comment réagissez-vous?
Lucie Pinson : L’intensité carbone n’est pas forcément un indicateur que nous regardons, étant donné qu’il est relatif. Si un portefeuille d’investissement grossit, vous pouvez en effet avoir une intensité carbone qui diminue sans que cela signifie pour autant une baisse du financement des activités les plus carbonées. Il suffirait pour cela d’augmenter les fonds dédiés aux énergies renouvelables.
Par contre, sur l’empreinte carbone brut des banques, on voit bien qu’aujourd’hui nous n’avons pas de trajectoire à la baisse. On s’aperçoit ainsi que les banques françaises ont accordé 295 milliards de dollars de financement aux énergies fossiles entre 2016 et 2020 avec une augmentation de 19% par an en moyenne. Cela veut dire que depuis l’accord de Paris, les banques françaises financent de plus en plus les énergies fossiles. Pire, elles financent de nouveaux projets, qui sont là pour durer 30 ou 50 ans.
Lire aussi : Lucie Pinson : “Le charbon n’est que la première bataille”
Comment expliquez-vous ce décalage entre les paroles et les actes?
Le problème est que les acteurs financiers utilisent le fait qu’on ne sortira pas du pétrole et du gaz du jour au lendemain pour dire qu’il faut maintenir tous les soutiens aux entreprises. Alors que, si la sortie de ces secteurs ne peut se faire que progressivement, il s’agit dès maintenant d’arrêter de les étendre car chaque nouveau projet nous éloigne de l’objectif et aggrave la situation climatique.Il y a également une méconnaissance du déploiement des énergies renouvelables, qui représentent une alternative aux énergies fossiles à terme, avec une incapacité à se projeter dans l’après-pétrole.
Et bien entendu, il y a quand même un manque de courage politique puisque la transition implique d’avoir des discussions extrêmement dures avec les clients pour conditionner le maintien de leurs services financiers au respect de la trajectoire de neutralité carbone. Et selon l’Agence internationale de l’énergie, celle-ci impose l’arrêt de tout nouveau projet pétrolier et gazier. Cette discussion, les acteurs financiers français refusent de l’avoir.
Les banques françaises se targuent pourtant de faire mieux que leurs homologues anglo-saxonnes. Qu’en est-il vraiment?
Concernant le charbon, oui, les banques françaises ont un coup d’avance, même si tout n’est pas parfait. En revanche, sur le pétrole et le gaz, globalement, elles sont toutes au même niveau, étant donné le caractère insignifiant des mesures qui ont été prises sur certains secteurs dits « non conventionnels ».
Les politiques d’exclusion, vu la manière dont elles sont rédigées, épargnent les majores pétrolières et gazières qui sont très diversifiées et passent en général sous les seuils d’exclusion. Ainsi, malgré un arrêt des financements dédiés aux forages en Arctique, les grandes banques françaises se retrouvent à financer des entreprises présentes dans cette zone, comme TotalEnergies.
Lire aussi : Total, le marchand de doute du climat depuis 1971
Propos recueillis par Kevin TRUBLET