La France compte 15 millions d’hectares de forêts. Utiliser une plus grande part de cette biomasse permettrait de réduire davantage notre dépendance aux énergies fossiles. Mais une surexploitation pourrait menacer les écosystèmes et la qualité des sols…
La consommation annuelle de bois issue de la forêt française est actuellement d’environ 65 millions de m3. Cela concerne l’ensemble des usages : bois d’œuvre, bois d’industrie (pâte et panneaux) et bois énergie. Le bois énergie est utilisé sous forme de bûches traditionnelles, de plaquettes de bois broyées et de granulés issus de la fabrication de bois d’œuvre. Cette dernière utilisation présente un important potentiel de développement, notamment si l’on développe la filière du bois d’œuvre en France. En même temps, l’accroissement annuel de la forêt est d’un peu plus de 100 millions de m3. On prélève donc environ 60 % de ce qui pousse chaque année actuellement.
« C’est ce décalage entre prélèvement et accroissement naturel qui fonde l’idée d’une « surcapitalisation » et d’une « sous exploitation » de la forêt française qui contraste avec la déforestation qui prévaut globalement notamment dans les pays en développement », précise Marc Guérin, directeur du département Territoires à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea, ex Cemagref).
18 millions de m3 supplémentaires
Pour atteindre l’objectif français de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2020, il faudra produire 20 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) provenant de sources renouvelables supplémentaires par rapport à 2006. La biomasse devrait y contribuer majoritairement à hauteur de 10,7 Mtep supplémentaires. Pour y parvenir, il faudra obtenir 6,2 Mtep supplémentaires sous forme de chaleur, 1,2 Mtep sous forme d’électricité et 3,3 Mtep sous forme de biocarburants. Vous l’aurez compris, il faudra couper plus de bois !
Selon deux études réalisées en avril 2010 pour le compte de l’ADEME et du Ministère de l’agriculture, les ressources en bois énergie supplémentaires disponibles dans des conditions d’exploitation acceptables à l’horizon 2020 sont de 4,3 Mtep/an, pour les forêts, peupleraies et haies et de 1,6Mtep/an pour les coupes d’entretien des vignes et vergers, arbres urbains. Ces coupes apporteraient donc 5,9 Mtep/an supplémentaires. En ajoutant l’électricité et la chaleur produite par les incinérateurs, le biogaz et les résidus de récoltes, on pourrait donc théoriquement atteindre les 7,4 Mtep supplémentaires nécessaires à la production d’électricité et de chaleur provenant de la biomasse en 2020.
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Des prélèvements non uniformes
Si la thèse de la « surcapitalisation » est assez largement partagée par les milieux forestiers, elle est nuancée par certains commentateurs qui insistent sur la relative jeunesse des peuplements et la difficile accessibilité de certains d’entre eux, sans compter la faible propension des petits propriétaires forestiers à livrer leur bois. En effet, les prélèvements ne sont pas uniformes sur le territoire et se concentrent dans les forêts publiques.
La forêt publique représente moins de 30 % des 15 millions d’hectares de forêt recensés mais apporte la plupart de la biomasse exploitée. C’est donc principalement dans la forêt privé qu’il existe des possibilités importantes de développement. Mais celle-ci est dispersée entre de nombreux propriétaires : plus de 3,5 millions ! L’essentiel de ces propriétaires possède moins de 5 hectares. IIs n’entrent donc pas toujours dans une logique entrepreneuriale ou patrimoniale d’entretien du bois. De plus, ces forêts sont réparties sur l’ensemble du territoire, ce qui renforce les défis à soulever pour les exploiter.
Quels sont les risques d’une surexploitation ?
En France, le bois de chauffage provient essentiellement des travaux d’entretien forestiers: bois d’éclaircies (d’entretien) et résidus des coupes finales. Une partie des plus petits branchages est restitué au sol, les plus grosses branches étant utilisées pour le bois de chauffage. Il faut en effet éviter les effets négatifs sur la biodiversité d’un prélèvement trop intensif et mal contrôlé.
« L’intensification forestière peut créer des situations défavorables à la biodiversité, car il y a moins de bois mort, moins de vieux peuplements et de gros bois, des habitats plus fragmentés, un tassement des sols, davantage de dérangements de la faune, une augmentation des surfaces totales des coupes et une diminution des zones humides et des tourbières. » insiste Marc Guérin. On note également des impacts potentiels sur la fertilité des sols et le cycle des éléments minéraux sur le long terme. Les risques liés à la surexploitation de la forêt sont donc réels et doivent être anticipés.
La gestion durable des forêts ? Quel avenir sur le long terme ?
Je vous donne mes impressions concernant un document émis par l’ONF intitulé « La Gestion durable des forêts publiques ».
Ce document intéressant sur la forme, nous dit ce qui serait bon pour la forêt, pour préserver TOUTES ses fonctions et services. Comment être contre un maintien ou une amélioration de la biodiversité forestière…On ne peut qu’être pour !
Mais, ce document porte aussi à réflexion car il contient des remarques ou certitudes qui sont contredites par d’autres scientifiques ou experts en écologies forestières.
Actuellement, l’ONF fait une campagne médiatique pour expliquer que l’accroissement des volumes coupés en forêts publiques est une bonne chose pour la société et le milieu forestier…Je regrette par exemple que cet établissement dont j’ai partagé les valeurs passées, ne se défende pas plus fortement contre ces directives du « couper plus » ! C’est une insulte faite aux anciens gestionnaires qui avaient leur expérience et leur savoir au service de la forêt en élaborant des plans de gestion conforme aux réalités de terrain, des milieux associés…et indépendants de décisions politiques. Depuis très longtemps, ils ont fait des inventaires, créé des accès routiers, planté et fait en sorte que tout fonctionne de mieux en mieux, récolté et vendre les produits…Continuer à progresser sur tous les besoins et les attentes de la société, quoi de plus normal ! Mais leur dire du jour au lendemain que la forêt était sous-exploitée, mal gérée au plan écologique et économique ! Quelle prétention ! Voir la page 5 du document ONF.
Laissons les forestiers agir en dehors de ces pressions, ils savent faire leur métier avec passion et responsabilité. Mais la réalité est tout autre ! Il faut mettre des volumes supplémentaires sur le marché : plus 20 millions/an, chiffre rappelé par les Ministères de tutelle…et pourtant, les prétentions de l’IFN quant à la ressource forestière, sont revues à la baisse… Ces volumes supplémentaires sont en contradiction avec les anciens plans de gestion des forêts publiques. Il faut savoir aussi que les derniers « aménagements » forestiers tiennent compte de ces nouvelles directives politiques du « couper plus ». Quelle crédibilité attendre de ceux-ci ?
La notion élémentaire en matière de gestion d’un massif forestier est l’inventaire pied à pied des peuplements forestiers, seule méthode qui garantisse les volumes sur pied, les accroissements donc les possibilité/volume réelles d’un massif (réf. DUCHIRON).
Pour en revenir au document de « gestion durable » de l’ONF, il est une réalité partagée par tous : celle d’une augmentation de la surface forestière française : essentiellement la forêt privée, doublement en 150 ans (en légère régression depuis quelques années) ! Nul ne le conteste ! mais comme je l’avais déjà écrit, cette augmentation de surface s’est traduite automatiquement par une augmentation globale et progressive des volumes prélevés : Plus 43% en forêts domaniales sur les trente dernières années ( rapport de la Cour des comptes) et plus 64% entre 1966 et 2010 selon un rapport du Président de l’ONF ( Mr Gaymard). Voir la page 9 du document ONF…alors que la surface des forêts publiques n’a pas augmenté !
Il y a donc bien un ajustement automatique et progressif de la croissance et de la récolte ! C’était le rôle des plans de gestion passés…réactualisés tous les 15 ans environ !
Quant au déficit de la balance commerciale de la filière bois, il faudrait aussi dire que la forêt française est exportatrice de bois feuillus en grumes (les ¾ des volumes forestiers français).
La forêt française n’est pas, contrairement à ce que l’on laisse croire, déficitaire sur sa production de bois car elle exporte plus que ce qu’elle importe, par contre le déficit de la balance commerciale de la filière bois est dû aux entreprises de transformation du bois pas suffisantes pour donner de la valeur ajoutée à cette matière première. Voir page 10 du doc.ONF.
Sur la sylviculture intensive préconisée par l’ONF pour améliorer les écosystèmes, améliorer les rendements et les qualités des peuplements forestiers, elle est, pour beaucoup de scientifiques de l’ex-Cemagref ou de l’INRA ou d’experts forestiers, source de dangers à moyen terme, danger pour l’économie de la filière, pour l’écologie forestière…
Certaines notions sylvicoles ONF sont contestées : la faiblesse des volumes sur pied à l’Ha, les éclaircies trop fortes qui ne favorisent pas ni la qualité, ni la résistance aux incidents climatiques, sécheresse, tempêtes, les microclimats forestiers perturbés (notions de lumière et d’humidité ambiante, d’évaporation du sol, insolation des sous étages…). Les diamètres d’exploitation revus à la baisse, de même les temps de passage entre deux coupes (rotation) raccourcis eux-aussi ! (notions critiquées par les chercheurs écologues) Des recherches de l’INRA CARBOFOR publié en 2010 (Lousteau) confirment que les cycles longs permettent un meilleur stockage du carbone que les cycles courts.
La thèse de Vallet (2005) confirme également l’intérêt des peuplements plus âgés pour le stockage du carbone.
Savez-vous que les forêts françaises ont le plus faible volume de bois sur pied à l’hectare des forêts Européennes : France 160 à 170 M3/ha (source IFN), Suisse 330 M3/ha, Allemagne et Slovénie 280 M3/ha, Luxembourg 250M3/ha, Belgique 210 M3/ha, Autriche 350 M3/ha…
Alors ? faut-il continuer à sous capitaliser ?. voir page 6 du doc. ONF.
La qualité technique du bois est liée à la densité des peuplements forestiers :
Forte densité = accroissements plus fins et réguliers, moins de décroissance, meilleur élancement, moins de branches…
Faible densité = arbres plus courts, plus coniques et plus branchus…
Depuis toujours, le forestier sait toute l’importance du milieu, l’ambiance forestière qui est le résultat d’un jeu subtil entre l’ombre et la lumière et de la lutte des espèces pour atteindre cette fameuse lumière le plus rapidement possible, pour tout simplement survivre…Une certaine densité favorise les relations complexes du système racinaire avec les champignons mycorhiziens…les peuplements espacés nuisent à cette relation de vie.
Depuis toujours, le forestier par son travail de sylviculture, permettait à la forêt, de s’améliorer génétiquement par la priorité donnée aux plus beaux spécimens…c’était un choix individuel de l’arbre, une sylviculture pied par pied, méticuleuse et combien valorisante ! Il savait doser les espèces d’ombre et de lumière…son coup de marteau était le résultat de tout un savoir, de toute une sensibilité mise au service de la forêt et non de directives commerciales !
Tout le contraire d’une gestion forestière collectiviste qui ne peut qu’être productiviste, quantitative et dangereuse pour le fonctionnement global de ces écosystèmes.
« L’objectif d’augmentation de la récolte conduit dans certaines régions à prélever au-delà de l’accroissement naturel. Or, le fait que l’accroissement naturel ne soit pas entièrement récolté permet aux formations forestières jeunes de mûrir, de restaurer la biodiversité menacée qui est dépendante des forêts vieillies, d’augmenter la résilience de l’écosystème, de stocker du carbone et d’accroitre le capital sur pied avec des produits de qualité… »
Pascal VINE, directeur général de l’ONF a dit : « depuis 20 ans, il est prélevé TOUTE la production biologique… ».
D’après Barthod (2005), certains forestiers américains s’étonnent de notre obsession sur l’écart entre récolte et accroissement biologique, leurs expériences ont montré toute la valeur de celui-ci comme un « tampon indispensable à tout système biologique en situation de durabilité ».
En clair, lorsque l’ IFN ( Inventaire Forestier national) donne comme valeur de production biologique de la forêt française, 80 millions de M3, on ne doit pas prélever cette valeur, mais rester bien en- dessous pour tenir compte des mortalités naturelles ou aléas climatiques, toutes les espèces inventoriées ne donnent pas des produits commerciaux… Pascal VINE, directeur de l’ONF a donné comme chiffre de récolte possible, 70% de la production biologique. Je partage cette appréciation.
Arrêtons aussi de ‘jouer et concevoir’ des normes sylvicoles dont le seul objectif est de récolter davantage !
Voilà donc une autre réflexion, ce ne sera pas la dernière et c’est bien de réfléchir ainsi ! Guy ROCHON (ex agent ONF) Février 2014.