Le 7 avril 2015, l’Autorité de Sûreté du Nucléaire française (ASN) a été informée par Areva d’une anomalie de la composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville. Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN nous en dit plus sur cette anomalie et les suites à venir.
Areva vient de déclarer à l’ASN une anomalie de fabrication sur le fonds et le couvercle de la cuve en acier de l’EPR de Flamanville. « Ces zones présentent des anomalies d’homogénéité et on a des zones de faible résistance mécanique intrasèque des matériaux, assez nettement plus faibles que la référence qui est dans la réglementation», explique Pierre-Franck Chevet, Président de l’ASN. La réglementation fait référence à une valeur de résilience – la capacité d’un matériau à résister à un choc mécanique et à la propagation de fissures – de 60 Joules (J). « Les valeurs basses des essais qui ont été faits à notre demande sont en dessous de 40 Joules », précise-t-il. En effet, les valeurs de résilience mesurées sont situées entre 36 J et 64 J, pour une moyenne de 52 J.
« Le jugement que l’on porte sur cette anomalie, c’est que c’est une anomalie sérieuse, voire très sérieuse, qui, en plus, intervient sur un composant crucial en termes de sûreté, assure Pierre-Franck Chevet. La cuve, qui pèse 425 tonnes et mesure 11 mètres contient en effet le coeur du réacteur et sert de deuxième barrière de confinement aux éléments radioactifs.« Areva va faire des propositions d’essais sur des matériaux similaires pour essayer de démontrer qu’éventuellement ça peut passer. On est sur un composant crucial qui ne doit pas rompre, il faut donc que l’on ait la conviction qu’il ne peut pas rompre », prévient le Président de l’ASN.
Comment l’anomalie de cuve de l’EPR a-t-elle été découverte?
La réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires impose au fabricant que les matériaux utilisés soient les plus homogènes possible. Le décret n°99-1046 du 13 décembre 19999 relatif aux équipements sous pression exique que « les matériaux destinés aux parties sous pression doivent […] notamment être suffisamment ductiles et tenaces ». Cela signifie qu’ils doivent pouvoir se déformer sans se rompre et résister à la propagation d’une fissure sous contrainte mécanique. « Ces exigences sont réputées atteintes dès lors que les propriétés du matériau sont supérieures à des valeurs minimales figurant dans le décret », précise l’ASN dans une note d’information du 8 avril. Pour les équipements sous pression nucléaires, ces valeurs minimales sont encore plus contraignantes.
Pour répondre à cette exigence technique, Areva a mené des essais destructifs de traction et de résilience sur la calotte supérieure de cuve qui était initialement destinée à un autre projet de réacteur EPR. Cette cuve avait été réalisé dans les mêmes ateliers que la cuve de l’EPR de Flamanville, chez Creusot Forge, filiale d’Areva.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. L’entreprise a découvert une teneur en carbone de l’acier plus éleée que prévue (0,30% pour une valeur visée de 0,22%) et conduisant à des valeurs de résilience mécanique plus faibles qu’attendues. Les premiers essais ont confirmé la présence de cette anomalie dans le couvercle et le fond de la cuve de l’EPR de Flamanville.
Peut-on s’attendre à l’abandon du projet?
Tout n’est pas encore perdu pour Areva. Car la réglementation prévoit qu’un fabricant peut choisir de ne pas respecter les valeurs minimales figurant dans le décret, s’il justifie de la mise en oeuvre de dispositions permettant d’obtenir un niveau de sécurité global équivalent.
C’est ce que va tenter de faire le géant du nucléaire français. L’entreprise entame une campagne d’essais approdondie sur un autre couvercle représentatif pour connaître précisément la localisation de la zone concernée, ainsi que ses propriétés mécaniques. Areva présentera ensuite un dossier pour démontrer malgré tout la résistance de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.
L’ASN instruira ce dossier, avec l’IRSN et le Groupe permanent d’experts dédié aux équipements sous pression nucléaires. Pierre-Franck Chevet n’exclut pas non plus de faire appel à des experts étrangers. « Les résultats sont attendus pour le mois d’octobre et seront rendus publics pour garantir la plus grande transparence sur le sujet », fait savoir de sont côté le ministère de l’écologie.
Plusieurs question vont alors se poser. Les essais étant faits sur des couvercles similaires, mais qui ne sont pas ceux de Flamanville, il faudra être sûr de la reproductibilité des tests et du procédé de fabrication de Creusot Forge. Au vue des essais réalisés, pourra-t-on être convaincu qu’il n’y a pas de risque de fissuration ? Le Président de l’ASN reste très prudent. « [La résilience] est un indicateur de qualité de matériau. Effectivement, il n’est pas atteint. Mais ce n’est pas parce que l’on n’atteint pas ce critère qui est parfait, que c’est inacceptable. Je ne dis pas non plus que c’est acceptable», indique-t-il. Car la qualité d’un matériau est définie par bien d’autres critères. Les essais complémentaires devront répondre à cette interrogation.
Quoiqu’il en soit, si l’ASN n’accepte pas le dossier d’Areva, remplacer la cuve sera très difficile. Une cuve de réacteur qui a fonctionné est considérée comme irremplaçable, mais ce n’est pas forcément le cas pour un réacteur qui n’a pas encore été mis en service. Néanmoins, les travaux sont déjà assez avancés : les boucles primaires et un des générateurs de vapeur de l’EPR de Flamanville ont déjà été soudés à la cuve. « C’est déjà un stade assez avancé; cela doit être très lourd de remplacer à ce stade », prévient Pierre-Franck Chevet. Cette éventualité est donc inquiétante pour Areva et EDF, étant donné la situation financière actuelle très difficile d’Areva, et les surcoûts déjà observés sur ce prototype.
De plus, si les essais complémentaires ne convainquent pas l’ASN, l’EPR de Flamanville, mais aussi les deux en construction à Taishan en Chine, seraient menacés, car certaines calottes de leurs cuves ont aussi été forgées par Creusot Forge, selon un procédé similaire. Ce n’est pas le cas de celui d’Olkiluoto en Finlande, la cuve provenant d’un autre fournisseur japonais.
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De retards en retards… De surcoûts en surcoûts… Et du travail dissimulé !
En juillet 2011, EDF avait annoncé un retard de deux ans avec une hausse de 2,7 milliards d’euros par rapport au coût initial de 3,3 milliards. Le coût de production du MWh se situait alors dans une fourchette de 70 à 75 euros (contre 46 initialement). En décembre 2012, la facture augmente à nouveau de 2,5 milliards d’euro, avec une ouverture décalée à 2016. La mise en servie de l’EPR de Flamanville est désormais prévue par EDF pour 2017, mais la découverte de cette anomalie risque de la retarder et d’augmenter à nouveau fortement la facture.
Les problèmes ne s’arrêtent pas là. Les entreprises françaises Bouygues BTP, sa filiale Quille, et Welbond Armatures, répondent actuellement devant le tribunal de Cherbourg de « recours aux services d’une entreprise pratiquant le travail dissimulé ». Elles sont accusées d’avoir recouru au service de la société Atlanco basée en Irlande et de la roumaine Elco qui auraient employé illégalement 460 ouvriers polonais et roumains sur le chantier du réacteur EPR de Flamanville entre 2008 et 2012. le 13 mars 2015? Le Parquet de Cherbourg a requis 150 000 euros d’amende contre Bouygues, 80 000 euros contre Elco et 225 000 euros contre Atlanco. Une sentence bien faible face aux économies réalisées. Le préjudice pour l’Urssaf est estimé à près de 8 millions d’euros et autour de 10 millions pour les impôts. Le tribunal rendra sa décision le 9 juin 2015.
Auteur : Matthieu Combe, fondateur du webzine Natura-sciences.com
Quelqu’un pourrait-il m’expliquer pourquoi on découvre cette anomalie si tardivement, et non pas avant d’avoir installer la cuve ?