Près de 300 personnes manifestaient ce mercredi 2 juin à Paris contre la future PAC (Politique agricole commune). Les agriculteurs biologiques étaient présents en nombre pour dénoncer une baisse conséquente de leurs subventions.
Le constat est clair pour Mathieu Courgeau : « Les agriculteurs biologiques sont les grands perdants du volet national de la PAC ». Ce producteur de lait biologique vendéen est à la tête de la plateforme « Pour une autre PAC« , qui regroupe une quarantaine d’organisations promouvant l’agriculture biologique. Comme près de 300 personnes, il participait à la manifestation organisée par la FNAB (Fédération nationale des agriculteurs biologiques) mercredi 2 juin aux Invalides, à Paris.
Regroupant personnalités politiques, acteurs du monde agricole et associations écologiques, ce rassemblement fait suite aux annonces de Julien Denormandie sur la future PAC le 21 mai dernier. Le ministre de l’Agriculture avait alors suscité l’incompréhension des agriculteurs biologiques en présentant les arbitrages sur la répartition du PSN (Plan Stratégique National), déclinaison nationale de la PAC européenne pour la période 2023-2027.
« La bio à poil » avec 66% d’aides en moins
Ce plan prévoit la disparition des aides spécifiques à l’agriculture biologique pour les agriculteurs déjà convertis, appelées « aides au maintien ». De 220 euros de soutien à l’hectare par an en moyenne, les agriculteurs bio passeront à 70 euros, selon les calculs de la FNAB. Soit une baisse de 66% de leurs subventions. Depuis ces annonces, les photos d’agriculteurs posant nu en cachant leurs parties intimes avec des pancartes ou quelques brins d’herbe fleurissent sur Twitter sous le hashtag « La Bio à poil ». Des clichés exposés entre les arbres de l’esplanade des Invalides à Paris, lieu choisi pour la manifestation. Plusieurs agriculteurs ont d’ailleurs, le temps d’une photo, posé en tenue d’Eve lors du rassemblement.
Jean-Felix Billard estime qu’il perdra 15.000 euros avec cette nouvelle PAC. Ce jeune homme athlétique de 26 ans travaille dans l’élevage de vaches et moutons de ses parents, à Rosnay (Centre-Val de Loire). Pour faire face à cette perte de subventions, les remèdes sont minces. « Il faudrait qu’on augmente les prix de vente mais ça fait des années qu’ils sont fixés. Je pourrais aussi diminuer mon revenu, sauf que je gagne seulement 1400 euros par mois en travaillant 60 à 80 heures », confie-t-il.
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Cette baisse d’aides vient aussi perturber certains projets futurs. William Dehais est en reconversion pour devenir agriculteur biologique, à 32 ans. Il souhaitait créer une exploitation urbaine de maraîchage à Paris, et avait construit son modèle économique autour des aides de la PAC actuellement en vigueur. Désormais, il devra repartir à zéro. « La politique gouvernementale me dégoute », tempête-t-il.
Un nivellement par le bas
Autre objet de la colère des agriculteurs biologiques : l’alignement de leurs aides à celles de la certification HVE (Haute valeur écologique). « Rien ne prouve que le label HVE a une valeur environnementale », explique Loïc Madeline, secrétaire général en charge de la PAC pour la FNAB. Le secrétaire s’appuie sur une note confidentielle révélée par Le Monde et remise fin 2020 au gouvernement. L’OFB (Office français de la biodiversité) y assure que la certification HVE ne présente, dans la grande majorité des cas, aucun bénéfice environnemental.
Un des critères d’obtention de la certification HVE impose que les achats d’intrants (pesticides, etc) ne dépassent pas 30% du chiffre d’affaires de l’exploitation. Or, selon l’OFB, un tel seuil n’est « pas du tout discriminant pour les exploitations viticoles, qui consacrent en moyenne seulement 14% de leur chiffre d’affaires aux intrants ». La filière viticole représente pourtant plus de 80% des exploitations HVE. « Puisqu’il n’a pas de valeur, ce label ne mérite pas de figurer au même niveau que nous », résume Loïc Madeline.
« On est vraiment sur un nivellement par le bas », s’indigne Bernard Lafitte. Portant un faux cercueil arborant le slogan « Denormandie enterre la bio », cet enseignant agricole retraité s’inquiète pour le futur de l’agriculture biologique avec ce nouveau label. « Plein d’agriculteurs en conventionnel veulent aller vers des productions plus respectueuses de l’environnement. Avec le label HVE, on va encourager les gens à faire le minimum syndical », s’énerve Bernard Lafitte.
Une PAC décevante, au-delà de la bio
« Le modèle agricole en France et en Europe continue d’aller vers l’industrialisation » constate Romain Jerger. Installé dans une exploitation de maraîchage bio près d’Orléans, l’homme de 30 ans ne comprend pas la position des autorités : « La société a la volonté de consommer mieux pour l’environnement. Le thème est d’ailleurs largement repris par la classe politique, qui sent l’engouement sur ces sujets-là. Mais dans les faits, il n’y a rien », assène-t-il.
Le gouvernement entend favoriser la conversion vers la bio avec ce nouveau PSN. En effet, il augmentera de 340 millions d’euros par an les subventions à la conversion. Une position qui « ne tient pas une seconde » pour Mathieu Courgeau. « On peut pas inciter à la conversion en baissant les aides de ceux qui sont déjà convertis », ironise-t-il. Le président de Pour une autre PAC est révolté par l’attitude du gouvernement envers les acteurs du milieu. « On a fait six demandes de rendez-vous avec Julien Denormandie depuis son arrivée en juillet 2020. On a juste été convoqué la veille du CSO (Conseil supérieur d’orientation), quand tout était déjà décidé », s’énerve Mathieu.
C’est durant le CSO du 21 mai qu’ont été dévoilés les arbitrages de la nouvelle PAC. Une réunion que la FNAB a quitté en plein cours. « On a travaillé pendant six mois avec les services du ministère de l’Agriculture sur cette PAC. Finalement, l’arbitrage nous a été totalement défavorable, sans même qu’on ait pu négocier », justifie Loïc Madeline.
Le ministère de l’Agriculture a peu apprécié la mobilisation. Contacté par l’AFP, il affirme que « le soutien à l’agriculture biologique augmente » via les aides à la conversion. »Les aides doivent être là pour aider à la transformation, pas maintenir des privilèges », rétorque-t-on, évoquant du « corporatisme ».
Jérémy Hernando